Article de Jeanne de Bascher
Rock’n roll suicide
Thomas Ostermeier fait son grand retour à l’Odéon en adaptant « La Mouette » de Tchekhov. Une mise en scène brillante sur fond de rock US pour des jeunes gens modernes.
© Arnaud Declair
Ecrite en 1895, Tchekhov définit « La Mouette » comme « une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage ; beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action et cinq tonnes d’amour ». Et il y en a ! Sémion aime Macha. Macha aime Constantin. Constantin aime Nina, qui aime Trigorine qui aime Arkadina (qui n’aime qu’elle-même). Ostermeier recentre l’histoire sur ce thème omniprésent en société, en famille et en couple autour d’un cercle d’enchaînés, où chacun souffre d’un amour non partagé. Qu’est-ce qui les nourrit ? L’espoir d’être, un jour, aimé en retour. L’espoir fait vivre, et, chez les Russes, mourir aussi.
© Arnaud Declair
La pièce s’ouvre sur Rock’n roll suicide de Bowie, tout un symbole. S’en suivront les grands standards des Doors et du Velvet Underground. Les comédiens chantent et jouent sur scène. Ils font des apartés sur la Syrie et se moquent du théâtre d’aujourd’hui, ces pièces identiques aux décors blancs, avec projection vidéo et acteurs nus (ou en slip). C’est drôle, c’est frais, c’est vrai. En un mot, c’est moderne. Ostermeier adapte Tchekhov à notre époque en se moquant de ses travers et de ses modes, en les confrontant directement au public. Pari osé à l’Odéon, la salle réagit et réclame qu’on joue stricto sensu la pièce ! Mais n’est-ce pas le moment et le lieu idéal pour le faire ? Rappelons les mots de l’auteur sur le rôle de l’artiste « mon affaire est seulement d’avoir du talent, c’est-à-dire de savoir distinguer les indices importants de ceux qui sont insignifiants, de savoir mettre en lumière des personnages, parler leur langue ». Parlons-en de la langue, traduite et adaptée par Olivier Cadiot, qui avait déjà collaboré avec Ostermeier pour « Les Revenants » d’Ibsen en 2013. Elle est jeune, contemporaine et vivante, à l’image de Nina, interprétée par Mélodie Richard. Elle sert à merveille les acteurs, tous parfaits, avec en tête Valérie Dréville, qui excelle en mère indigne et femme trompée. Un sans-faute mis en scène avec intelligence et subtilité, où le décor est peint in situ par l’artiste Marine Dillard.
La Mouette
D’Anton Tchekhov
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Avec Bénédicte Cerutti, Marine Dillard, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur.
Traduction Olivier Cadiot
Costumes Nina Wetzel
Lumières Marie-Christine Soma
Du 20 mai au 25 juin 2016
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris
http://www.theatre-odeon.eu/fr