« La musica. La musica deuxième » de Marguerite Duras, au théâtre du vieux colombier

Article de Dashiell Donello

La Musica, un je-ne-sais-quoi d’indicible

La Musica (1965) se situe dans un hôtel d’Évreux. Un couple, Anne-Marie Roche et Michel Nollet, revient dans la ville de leur premier amour, où s’est finalisé leur procédure de divorce. La ville ne dessert qu’un train par jour pour Paris. Ce sera donc l’attente, un jour et une nuit, avant le départ, dans l’hôtel où le couple s’est aimé la première fois.

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© Laurencine Lot

La Musica deuxième est une variante qui raconte la continuité des personnages qui ont obsédé, durant vingt ans, Marguerite Duras. Presque rien ne change. Le même espace-temps, le même hôtel, la même ville ; toujours après leur procédure de divorce. Sauf que cette deuxième fois, contrairement à la première, la nuit les retient :

« (…) avec le jour, inéluctable, la fin de l’histoire surviendra. C’est avant ce lever du jour les derniers instants de leurs dernières heures. » C’est ainsi que l’auteur de « L’amant* » fige à jamais l’amour de Michel et d’Anne-Marie dans un temps immémorial.

Donc, vingt ans de maturation pour écrire et réécrire La Musica deuxième. Duras précise que durant ce laps de temps, « ils sont revenus (ses personnages) à cet état intégral de l’amour désespéré. (…) Désormais leurs propos n’ont plus d’importance, ils se parlent machinalement sans penser à ce qu’ils disent ». D’ailleurs cette « autre nuit » donne à voir la dimension d’un amour qui n’a jamais cessé de brûler dans le cœur des deux amants.

La Musica, avec en son centre le romanesque, a un je-ne-sais-quoi d’indicible. C’est une petite musique qui joue haut dans les cœurs. Une musique des jours qui s’égraine, lancinantes, obsédante; elle est la musique de l’amour absolu. La musicalité de ses notes est hors de l’écrit. La musica est autant lisible et visible qu’audible : « C’est de la mise en littérature. Il y a autant de texte dans la Musica qu’en dehors de la Musica. (…) Toute cette partie (le dehors) n’est pas retenue dans l’écrit, mais elle existe, à vivre elle existe. », nous dit Duras.

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© Laurencine Lot

La mise en scène d’Anatoli Vassiliev se love dans un bric-à-brac de vide grenier. Le hall de l’hôtel semble avoir vomi les meubles d’un passé toujours douloureux, signifiant une histoire qui se voudrait toujours recommencer, et signifié dans la première fois d’un éternel retour.

Pour ce qui est de la direction d’acteur, Vassiliev fait parfois scander les comédiens, pour créer la distance du récit passé. Laissant les dialogues vivre au présent. Tel un sculpteur, qui ôte la glaise pour laisser l’œuvre apparaître, le metteur en scène soustrait de la théâtralité, de la même manière que Duras la faisait disparaître, quand elle mettait en scène ses propres pièces. Les variations de jeu, de situation, d’actions et de mise en scène, nous livrent le combat de deux êtres en addiction d’amour, dans l’impermanence impossible du temps. À ce jeu-là, Florence Viala et Thierry Hancisse, dans la densité dramatique de leur personnage, nous troublent de conviction et de vérité.

 

* Prix Goncourt 1984

 

La musica, la musica deuxième
Marguerite Duras
Mise en scène D’Anatoli Vassiliev
Scénographie et lumières d’Anatoli Vassiliev et Philippe Lagrue
Collaboration artistique Natalia Isaeva
Avec Thierry Hancisse, Florence Viala, Agnès Adam, Hugues Badet, Marion Delplancke

 

Du 16 mars au 30 avril 2016

 

Théâtre du Vieux colombier
21 rue du Vieux-Colombier

Paris 75006
www.comédie-francaise.fr