La Périchole Mise en scène Valérie Lesort / Décors Audrey Vuong / Costumes Vanessa Sannino
Philippe Talbot (Piquillo), Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Julie Goussot, Marie Lenormand,
Lucie Peyramaure (les trois cousines), chœur les éléments © Stefan Brion
Ce 15 mai 2022 à l’Opéra-Comique, se joue la première de La Périchole de Jacques Offenbach, plus de 200 ans après sa naissance. Ce grand compositeur français d’origine allemande a écrit plus de 650 œuvres dont de célèbres opérettes : Les contes d’Hoffmann, Barbe-bleue, Orphée aux Enfers, Madame Favart, La belle Hélène. En octobre 1868, la création est présentée en deux actes au théâtre des Variétés puis après la chute du Second Empire une deuxième version en trois actes voit le jour en avril 1874 et connaît un grand succès, toujours aux Variétés. Cette version est proposée aujourd’hui avec quelques incursions de la version de 1868 choisies par la metteuse en scène Valérie Lesort. Sur un livret de Ludovic Halévy et Henri Meilhac qui ont aussi produit en 1875 Carmen, l’opéra-comique de Georges Bizet, une adaptation de la nouvelle Carmen, de Prosper Mérimée qui a porté la réputation de l’opéra-comique dans le monde entier.
La Périchole (prononcé à l’italienne « perikol ») est un opéra-bouffe alternant parlé et chanté, inspiré d’une histoire vraie, celle de la comédienne et courtisane péruvienne Camila Périchole qui est devenue directrice du théâtre de Lima, capitale du Pérou. Un récit lui-même inspiré de celui d’un personnage historique, Micaëla Villegas dite « la perra chola » (littéralement « chienne de métisse »), qui fut en son temps actrice et surtout maîtresse du vice-roi du Pérou Don Manuel de Amat. Mérimée s’en était déjà inspiré pour sa comédie Le Carrosse du Saint-Sacrement, où sous la plume des librettistes d’Offenbach, elle devint chanteuse des rues. Entretenue par le vice-roi du Pérou, elle obtint que son amant lui fit don d’un carrosse, dans lequel elle se montra en ville, au grand étonnement de la population.
Le rideau s’ouvre sur une place, dans un quartier populaire de Lima au Pérou. Trois cousines (Julie Goussot, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure) tout de rouge vêtues et en tout point semblables tiennent un Cabaret. Vers ce lieu convergent les protagonistes de cette histoire avec tout d’abord des membres de la cour revêtus de déguisements. Don Pedro de Hinoyosa (Lionel Peintre) en clown avec petite fraise et pompons, Don Miguel de Panatellas (Éric Huchet) en boulangère aux formes généreuses avec une chevelure en chignons constitués de pains aux raisins en escargot. Ils forment un duo comique qui égaie par sa présence et ses gags jouissifs jusqu’à déclencher l’hilarité du public. Moustaches bleues, poncho et bonnet péruviens surplombant sa monture, un lama en peluche, le vice-roi du Pérou, Don Andrès de Ribeira (Tassis Christoyannis), en faux paysan veut passer incognito pour savoir ce que l’on pense de lui alors qu’une fête est donnée en son honneur. Ce tyran entretenu dans ses vices et ses illusions sera grimé à plusieurs reprises dans cette aventure, son personnage bouffe prête à rire mais la musique lui donne une présence affirmée, noble et autoritaire.
Les policiers-danseurs portent des costumes bleus aux lignes droites et motifs de signalisation routière qui leur donnent un aspect rigoureux et influent sur leurs déplacements. Le peuple de Lima, très présent au plateau, arbore des couleurs vives et contrastées, des tenues souples bleu marine avec des lisérés jaunes, fuchsias, verts et surmontées de chapeaux. « L’Espagnolade » ici appuyée était à la mode du temps d’Offenbach, tout l’exotisme de l’Amérique latine dans le cadre et dans les costumes péruviens (jupes superposées à froufrous pour les femmes) avec des danses folkloriques mais aussi un surprenant et fougueux french cancan. De beaux tableaux chorégraphiés par Yohann Têté où six danseur-euse-s évoluent ensemble ou se fondent dans le choeur Les Éléments, apportant une certaine dynamique.
La Périchole Mise en scène Valérie Lesort / Décors Audrey Vuong / Costumes Vanessa Sannino
1/ Julie Goussot, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure (les trois cousines), Lionel Peintre (Don Pedro de Hinoyosa)
2/ Julie Goussot, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure (les trois cousines)
3/ Philippe Talbot (Piquillo), Tassis Christoyannis (Don Andrès de Rebeira), Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), chœur les éléments
© Stefan Brion
Chanteuse des rues, la Périchole se produit avec son amoureux Piquillo devant le Cabaret des trois cousines à Lima. La mezzo Stéphanie d’Oustrac donne une vibrante interprétation de cette héroïne et le ténor Philippe Talbot l’accompagne justement, il est touchant en amant naïf, colérique et profondément humain. En solo ou en duo, leurs voix donnent de l’intensité à leur personnage. Leur coiffe fleurie, rubans et pompons apportent de la gaieté. Cela contraste avec la vie du couple qui est dure et le public n’est pas très généreux. Piquillo va quêter plus loin tandis que la belle, affamée et épuisée, s’assoupit. En voyant sa beauté, le vice-roi du Pérou, un homme extrêmement corrompu en tombe amoureux. Entendant ses plaintes, il l’invite au palais mais Piquillo n’est pas loin. Elle écrit une lettre d’adieu à ce dernier. Sous le clair de lune, elle chante tandis que quatre figures allégoriques (l’amour, l’argent, la nourriture et la musique) dansent. Ces nourritures terrestres auxquelles elle aspire offrent de belles envolées lyriques dans ce tableau intimiste, la mettant face à sa destinée. La Périchole se résigne à devenir la maîtresse d’un puissant pour sortir de la misère et de la faim. Mais pour légitimer sa présence à la cour, Panatellas et Don Pedro décident de lui trouver un faux mari. Piquillo à son retour lit la lettre et décide d’en finir avec la vie. Panatellas voyant le désespéré, lui fait miroiter une belle somme d’argent afin qu’il joue le rôle du mari fantoche.
S’annonce la comédie du mariage, point d’orgue de ce premier acte avec deux prétendants fortement enivrés pour endormir leurs scrupules et céder à leur destin. En contrepoint de ce couple, Offenbach démultiplie les personnages secondaires : le duo Panatellas et Don Pedro, les deux notaires, les trois cousines, les quatre dames… Le vice-roi interprété par le baryton Tassis Christoyannis est le personnage le plus inspiré par la réalité. Dans cette scène chorale où les alcools (Xérès, Malaga, Porto,…) sont en abondance, les voix se font plus rondes mais restent parfaitement audibles. Grisés, les corps sont chancelants, le choeur et même le décor sont contaminés par ces débordements. Il faut bien du courage à Piquillo pour renoncer à celle qu’il aime et épouser comme il le croit une parfaite inconnue. Alors que la Périchole reconnaît Piquillo et se retrouve face à ses choix dans son désir d’ascension sociale et d’indépendance. La cérémonie est une véritable farce comique et cruelle à la fois, c’est ce qui caractérise cette œuvre. L’amère vérité reste sous-jacente. Le parcours de notre héroïne présente une tragique image de la condition des artistes d’alors. Mais dans cette aventure rocambolesque, la Périchole saura défendre sa liberté de femme et d’artiste. Cette comédie douce amère porte aussi une réflexion sur le pouvoir et ses corruptions.
Les décors conçus par Audrey Vuong sont astucieux puisqu’ils se retournent et s’ouvrent au deuxième acte sur la salle du trône au palais du vice-roi. Nous y découvrons les personnages engoncés, les courtisanes dans des robes rigides jaunes ou vertes qui ressemblent à des gâteaux et le marquis de Tarapote (Thomas Morris) dans une sorte d’armure grise tel un scarabée, une scène digne d’Alice au pays des merveilles. Les costumes de Vanessa Sannino sont remarquables et ingénieux. Ils servent la farce et la dramaturgie, apportent de la joie, de la poésie et les comédiens s’en emparent et en jouent à merveille. Telles les dames de la cour qui décontenancées retombent dans leur robe comme un soufflé. Ou la Périchole arborant une robe rigide comme montée sur pneumatique, surplombée d’une haute coiffe fleurie qui traduit son ascension sociale puisqu’elle devient Comtesse de Tabago et favorite à la cour. Cette élévation au sens propre et au sens figuré est très bien exécutée.
La Périchole Mise en scène Valérie Lesort / Décors Audrey Vuong / Costumes Vanessa Sannino
4/ Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Thomas Morris (Tarapote), danseurs, danseuses, chœur les éléments
5/ Éric Huchet (Don Miguel de Panarellas), Philippe Talbot (Piquillo), Lionel Peintre (Don Pedro de Hinoyosa)
6/ Philippe Talbot (Piquillo), Stéphanie d’Oustrac (La Périchole)
7/ Tassis Christoyannis (Don Andrès de Rebeira), Stéphanie d’Oustrac (La Périchole)
© Stefan Brion
Valérie Lesort use de nombreux ressorts dans sa mise en scène. Effets scéniques, costumes transformables au fur et à mesure de la pièce, marionnettes représentant des chiens dansants ou des lamas chantants. Elle rend hommage à l’art et toute sa troupe enthousiaste exécute une partition éclatante et pleine de surprises. Une association harmonieuse entre le chœur Les Éléments et la musique jouée par l’Orchestre de Chambre de Paris sous la direction énergique et parfaitement maîtrisée du chef Julien Leroy.
Notons que cette première à la salle Favart est une représentation « Relax » avec un dispositif d’accueil inclusif et bienveillant, visant à faciliter la venue au théâtre de personnes en situation de handicap psychique et mental. Saluons cette belle initiative de l’Opéra-Comique pour l’accessibilité de tous les publics à la culture.
Une production riche, colorée et divertissante à ne pas manquer jusqu’au 25 mai à l’Opéra-Comique !
Informations pratiques
Auteur(s)
Jacques Offenbach sur un livret de Ludovic Halévy et Henri Meilhac
Mise en scène
Valérie Lesort
Direction musicale
Julien Leroy
Avec
Stéphanie d’Oustrac, Philippe Talbot, Tassis Christoyannis, Eric Huchet, Lionel Peintre, Thomas Morris, Quentin Desgeorges, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure, Julie Goussot, Julia Wischniewski
Décors Audrey Vuong
Costumes Vanessa Sannino
Lumières Christian Pinaud
Chorégraphie Yohann Têté
Marionnettes Carole Allemand
Assistante musicale Emmanuelle Bizien
Chef de chant Martin Surot
Assistante mise en scène Florimond Plantier
Assistante décors Amélie Meseguer
Assistante costumes Karelle Durand
Assistant à la chorégraphie Alexandre Galopin
Chœur Les éléments Orchestre de Chambre de Paris
Dates
Les 15, 17, 19, 21, 23 et 25 mai 2022
Durée
2h45
Adresse
Opéra-Comique
1, Place Boieldieu
75002 Paris
Informations complémentaires
www.opera-comique.com