« Le bruit court que nous ne sommes plus en direct » création du collectif L’avantage du doute, au Théâtre de la Bastille

Article de Marianne Guernet-Mouton

Le Théâtre « qui en a » ?

Le bruit court que nous ne sommes plus en direct est la troisième création du collectif de cinq comédiens L’avantage du doute. Avec cette nouvelle pièce actuellement jouée au théâtre de la Bastille, le groupe poursuit un questionnement lancé dès leurs premiers projets : notre rapport à l’information continue et aux images. Dans un monde globalisé et standardisé où l’information n’aspire plus qu’à prédire l’avenir, les cinq comédiens ont décidé de « faire pause ». Pour cela ils décident de créer une chaîne de télévision qui s’appellerait Éthique-TV, une chaîne de non-actualité d’experts en expertise de rien, qui s’adresserait non pas à des spectateurs, mais à des « voyants », comme ils disent. L’idée est alors de faire participer le public à la création en direct d’un journal du soir. La création, intelligente et drôle, finit pourtant par éteindre quelques voyants.

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Mélanie, Simon, Judith, Claire et Nadir : telle est l’équipe de comédiens dans le rôle des non experts en non-actualité. Sur une scène occupée par quelques chaises, radiateurs, et tables vétustes ainsi qu’un écran géant, le groupe évolue dans un décor qui donne à voir un entrepôt où une chaîne de TV éthique a élu domicile. Sur cette scène on remarque un téléviseur diffusant le nombre stagnant et somme toute assez faible de spectateurs regardant Éthique-TV, auxquels se joint le public laissé dans la lumière et interpellé par l’équipe, quasi constamment, du début à la fin de la représentation. De fait, une chaîne éthique et démocratique est une chaîne qui fait participer son public et se montre en train de débattre. C’est avec aisance et l’impression d’une réelle spontanéité que les acteurs parviennent à captiver le public de voyants face à la préparation du journal de 20h45.

Comment élabore-t-on un programme éthique ? Comment reste-t-on cohérent ? Comment subsister sans groupe d’actionnaires ? D’abord, non ce n’est pas un homme blanc chauve de soixante ans qui nous explique la vie, mais tour à tour chaque personnage vêtu comme il le souhaite, qui raconte son « histoire orale du jour », « ce qu’il nous montrera pas » et son « enquête ». Parmi eux, Nadir, qui quand il ne présente pas la météo qu’il fait dans la salle, la météo, « l’oracle des cons » toujours présentée par une call-girl ou un premier de classe, se bat pour imposer son sujet d’enquête : DSK et le cercle de l’industrie. Face à lui, Simon, qui voudrait faire un sujet sur Mylène Farmer à qui on prête une réflexion philosophique digne de Guy Debord, trouvée dans un vieux Paris Match. Tous ont un sujet, Nadir finit par triompher. C’est déguisé en DSK, nu sous son peignoir un cigare à la main qu’il entend dire la vérité, à savoir que la presse n’est plus libre, tenue comme elle est par des groupes de lobbyistes. La réussite de cette création tient dans tout ce moment d’élaboration du programme éthique qui n’ose genrer ses voyants et salue par un sobre « Bonsoir vous », une chaîne où tout le monde frôle la schizophrénie. En effet, la cohérence voudrait que personne n’ait de salaire, que la marginalité soit assumée, qu’on ne montre pas ce que TF1 montrerait pour à la place, proposer un moment de répit. Une cohérence qui vole en éclats lorsqu’une jeune diplômée d’une grande école de marketing nommée Gloria, amoureuse de Simon, débarque pour faire décoller l’audimat, jetant un malaise dans l’équipe en mal de cohérence face aux idées séduisantes de la jeune femme. Une bonne trouvaille qui sert pertinemment d’élément perturbateur.

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Mais le sentiment d’échec de cette création vient du fait que le discours, bien qu’intelligent et par moments excellent, s’épuise, perdu dans une mise en scène qui crée une temporalité incohérente et se surcharge d’ellipses, flashbacks et autres allusions à la vie personnelle des personnages. On a le sentiment que toujours, le questionnement passe à côté et ne va pas suffisamment loin, ou bien déterre des lieux communs pour un résultat légèrement brouillon. Que dire du grand bazar et de la folie finale de cette pièce qui aurait gagné à réellement interroger les médias et leurs contenus plutôt que de nous confronter à ce que l’on sait de notre société dont nous sommes des produits dérivés, et où même un malade d’Alzheimer sait encore dire « Y’a bon Banania » : les images nous mentent et l’information sature, étouffe. Quoiqu’il en soit les acteurs sont incroyables et quelques pépites émergent de ce brouillon relativement réussi.

 

Le bruit court que nous ne sommes plus en direct
Un spectacle de et avec Simon Bakouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand
Lumières et régie générale Wilfried Gourdin
Régisseur Bastille Bruno Moinard
Collaborations techniques Kristelle Paré et Thomas Rathier (vidéo), Elisabeth Cerqueira et Elsa Dray-Farges (costumes et accessoires)
Collaboration artistique Maxence Tual
Administration/production/Diffusion Marie Ben Bachir et Claire Nollez
Production L’Avantage du doute

Du 7 au 29 janvier 2016

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris
www.theatre-bastille.com