Article de Brian BB
Bienvenue au club
Oui, bienvenue au club des Haschischins que fréquentaient Baudelaire et Théophile Gautier vers 1844 et qui a inspiré ce spectacle musical. Libre évocation de l’expérience des paradis artificiels qu’ont goûté et décrit dans leurs oeuvres ces deux auteurs transgressifs, « Le Cabaret Stupéfiant » propose un voyage hallucinatoire en poésie et chansons soulignés par des visuels de type psychédélique.
© Philippe Delacroix
Un trip en réalité bien plus rock, dans la forme et les choix, que représentatif d’un spectacle de music-hall façon avant-guerre. Attention, donc, à ne pas se tromper de destination…
Odja Llorca, jeune chanteuse et comédienne, nous accueille tout d’abord devant la scène. Au plus près des spectateurs du premier rang. Tout sourire, elle nous propose de goûter à son pot de confiture de couleur verte. Un contenant odorant, précise-t-elle, aux effets merveilleux. Un bonheur absolu dû à l’action du haschisch, un bonheur emmenant vers une ivresse et une béatitude infinies. Démarre ainsi un spectacle expérimental, sensoriel, plastique et poétique. Musical surtout.
L’artiste interprète, tour à tour, des chansons de Gainsbourg, Bashung, Dutronc, Damia, Marie Dubas ou Brigitte Fontaine, toutes plus ou moins en rapport avec la délicieuse et délictueuse substance.
Philippe Thibault, à la contre-basse et la guitare, l’accompagne avec des arrangements électroniques (et aussi par moments vocalement) dans une sorte d’intimité instrumentale voulue pour préserver la qualité et la pureté du chant.
Olivier Garouste, troisième compagnon scénique, compose l’image en temps réel, à partir de dessins (d’Henri Michaux, entre autres) et d’objets qui créent des tableaux difformes. Cette correspondance entre couleurs et sons, images et musique parvient fort bien à évoquer un voyage mental. Comme ces « fantasias » que connurent Baudelaire et de nombreux artistes de tous bords, hommes de lettres mais scientifiques également, participant à ces séances d’exploration psychique sous surveillance de leurs proches.
© Philippe Delacroix
Pour nous, public, c’est bien différent en vérité. Les morceaux musicaux s’enchaînent, entrecoupés de poèmes évoquant le plaisir et son désenchantement, mais nous n’atteignons pas la montée euphorique annoncée, voire attendue, ni le Kiff qui en est son orgasme de l’âme.
À quoi est-ce dû au juste ? Odja Llorca est une énigmatique et excellente meneuse de spectacle, doublée d’une excellente interprète de chansons et poèmes, Philippe Thibault assure un son et un rythme de très bonne facture à la basse, et Olivier Garouste, lunaire, nous envoie quelques cartes postales fluorescentes, de style sous acide. Ainsi que quelques dialogues décalés et même volontairement comiques par moments.
Oui mais voilà, il y a un hic. Un manque de liant manifeste dans ce menu pourtant appétissant au départ. Mais qui se révèle un tantinet indigeste (n’est-ce pas chère voisine, quelque peu endormie à mi-parcours ?) en raison d’un manque d’écriture du spectacle en soi, d’une addition de textes, chantés ou pas, superposés un peu trop artificiellement et sans une mise en scène suffisamment présente, troublante, envoûtante de la part de Véronique Bellegarde.
Cette dernière a d’excellentes idées de spectacles, de jeunes artistes talentueux, une scène et un espace de vraie convivialité, des textes variés et de grande qualité, bref tout pour séduire un public curieux de liberté, d’échange ou de stimulation…mais la mayonnaise ne prend pas tout à fait faute de contenu et de rythme. De décor et de lumière aussi, pauvres, désincarnés. Quant aux costumes, ils sont aux abonnés absents excepté le bustier de velours de notre hôtesse si riche, elle, d’ambiguïté. Et qui, au rappel final, envoie sur une fausse note, avant de se reprendre publiquement et magistralement la magnifique composition de Lou Reed « Just a perfect day ».
Comme l’écrivait admirablement Charles Baudelaire dans son fameux recueil « L’invitation au voyage », vous avez sur les gens ordinaires ce curieux privilège d’ignorer où vous allez. Enfin, avec cette séance, un petit peu tout de même.
Le cabaret stupéfiant
Chant Odja Llorca
Musique Philippe Thibault (composition, arrangements, contrebasse, basse, synthétiseur, voix)
Performance visuelle Olivier Garouste (images vidéo)
Mise en scène Véronique Bellegarde
Lumière et son Philippe Sazerat
Vendredis 8 et 22 avril à 20h30
Samedi 9 avril à 18h, avec la participation exceptionnelle d’un invité : Gérard Watkins
Samedis 16 et 23 avril à 18h
Dimanches 10, 17 et 24 avril à 16h30
Lundi 11 avril à 20h30, avec la participation exceptionnelle d’un invité : Albin de la Simone
Lundi 18 avril à 20h30, en première partie (de 18h30 à 19h30) une rencontre autour de la drogue et l’art se tiendra avec le Dr Philippe Batel et des personnalités du monde éducatif, culturel et artistique.
HALL DE LA CHANSON-PAVILLON DU CHAROLAIS
211 Avenue Jean Jaurès
75019 PARIS