Article d’Ondine Bérenger
Le bonheur des livres
« Désolé professeur, je ne comprends pas ». Tels sont les mots du cancre, cet élève dernier de la classe, qui passe pour un impertinent ou pour un paresseux aux yeux de tous. Il ne rechigne pas à travailler pourtant, mais son esprit est autre, incapable de comprendre dans le temps imparti par les notions réclamées, incapable de satisfaire les exigences du système scolaire. Ce cancre, Daniel Pennac l’a été, et ce sont ses mots et son histoire que Bernard Crombey – un second cancre semble-t-il – tisse, met en scène et incarne.
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Dans un décor de salle de classe, équipé de son cartable d’un autre temps, le comédien raconte l’enfance difficile du cancre, la solitude, les moqueries, la douleur engendrées par l’incompréhension d’un monde ; mais aussi et surtout comment, grâce à l’attention de certains professeurs, ce cancre inadapté a pu découvrir la joie des livres, la joie des mots, et ainsi sortir de sa condition de jeunes derniers, pour, à son tour, devenir enseignant, et sauver des élèves de ce cercle infernal.
Loin de tomber dans le pathos, c’est avec un certain humour, une certaine innocence presque, dans une ambiance immersive qui sent bon les pots de colle et la poussière de craie, que l’on redécouvre avec bonheur l’écriture jubilatoire de Daniel Pennac. La joie des mots est ainsi célébrée par un verbe d’autant plus éclatant qu’il résonne à l’oral dans la pièce silencieuse, quoi de mieux pour servir le propos ? Assurément, la représentation est évocatrice, et l’on se croirait presque de retour sur les bancs de l’école.
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De plus, le texte est très bien servi par Bernard Crombey, qui incarne à merveille tant le jeune cancre que le sage professeur qu’il est devenu, tout en donnant à voir les autres personnages gravitant autour de cette intériorité troublée. Malgré une diction pas toujours très claire, le comédien possède le rôle, et son implication le rend d’autant plus touchant que l’écriture est éminemment personnelle. Cependant, le jeu mériterait peut-être de se reposer un peu davantage sur la présence du public : la salle du Lucernaire est étroite, et le thème de la pièce se prêterait parfaitement à une interaction légère, simple rupture du quatrième mur qui permettrait à la salle de classe de gagner pleinement son existence aux yeux du spectateur.
Quoiqu’il en soit, il convient de remarquer que cette belle histoire mérite plus que jamais d’être entendue, à l’heure où tant d’élèves se trouvent découragés par un système qui ne leur convient pas, car elle est la preuve, s’il en faut, que le nivellement par le haut est possible et que l’échec n’est jamais une fatalité.
Ainsi, sans forcément enrichir grandement le texte original, on assiste ici à une représentation agréable car incarnée, pleine de justesse et d’espérance. Un très bon moment aux airs de nostalgie.
Le Cancre
de Daniel Pennac
Conception et jeu Bernard Crombey
Collaboration artistique Catherine Maignan
Lumières / Scénographie Yves Collet
Son Michel Winogradoff
Vidéaste Matthieu Mullot
Vidéo-Musique Jules Poucet
Du du 30 mars au 21 mai
Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris