Article d’Ondine Bérenger
Dialogue incarné entre idéal philosophique et réalité quotidienne
C’est dans un très beau décor de salon du XVIIIe siècle que s’ouvre cette adaptation théâtrale du dialogue de Denis Diderot entre Moi, philosophe narrateur, et Lui, Jean-François Rameau, neveu du célèbre compositeur.
Dans une ambiance intimiste, nous faisons tout d’abord la connaissance du Philosophe (Gabriel Ledoze), qui introduit la pièce par cette fameuse tirade dont une seule phrase célèbre, la téméraire « mes pensées, ce sont mes catins », constituera le fil conducteur de la mise en scène. Puis, le calme est rompu par l’entrée remarquée du neveu de Rameau (Nicolas Vaude), et la joute verbale entre ces deux protagonistes que tout oppose peut commencer.
Nicolas Vaude réalise ici une performance exceptionnelle dans les guenilles de l’impertinent neveu. Débordant d’une énergie et d’une vivacité incroyables, il incarne son personnage dans un registre presque clownesque, qui le rend très attachant. Avec ses airs d’enfant capricieux, exprimant une vision pourtant cynique du monde, Nicolas Vaude occupe l’espace scénique par sa présence détonante, et donne réellement corps au texte de Diderot.
À ses côtés, Gabriel Ledoze campe un philosophe calme et tranquille, qui se voit malheureusement vite mis à l’écart, presque effacé par la présence brûlante du Neveu. Certes, le Moi de l’œuvre de Diderot possède à l’origine une vocation maïeutique, ce qui en fait un rôle par essence plus discret, mais l’on regrette tout de même le manque d’affirmation de ce personnage intéressant, et au demeurant fort bien interprété, sur scène,
La philosophie, art de préceptes et d’idéalisme, est d’autant plus vite dominée par le réalisme cynique de la vie quotidienne que Gabriel Ledoze est éclipsé par le jeu imposant de Nicolas Vaude.
Quelques effets de lumières et moments musicaux intéressants viennent rythmer davantage la pièce, rompant positivement sa continuité. L’on accède alors à un autre niveau d’adaptation et d’interprétation de l’œuvre, peut-être plus personnel, plus intime avec ses personnages, en ce qu’ils nous laissent voir les pensées qui les habitent, et que les mots ne traduisent pas toujours. Cette piste aurait toutefois peut-être mérité d’être plus largement exploitée.
Quoiqu’il en soit, c’est un très bel hommage au texte de Diderot.
Représentation réellement vivante, incarnée, elle re-situe le texte dans son époque, et pourtant nous en montre toute l’intemporalité et la modernité.
Assurément, si les lycéens de Terminale allaient voir cette pièce, ils ne redouteraient plus leurs cours de Philosophie.
Le Neveu de Rameau
de Denis Diderot
mise en scène Jean-Pierre Rumeau,
adaptation Nicolas Vaude, Nicolas Marié et Olivier Beaumont
avec Gabriel Ledoze, Nicolas Vaude
Costumes : Pascale Bordet
Lumières : Florent Barnaud
du 14 octobre 2015 au 3 janvier 2016
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
http://www.lucernaire.fr/