« LE POSTILLON DE LONJUMEAU » Une comédie romantique acidulée sous le règne de Louis XV

Dans sa volonté toujours constante de remettre sur la scène contemporaine de grandes œuvres oubliées, l’Opéra-Comique s’attaque désormais au Postillon de Lonjumeau, d’Adolphe Adam, qui fut représentée plus de 500 fois dans les soixante années suivant sa création en 1836, mais n’a plus foulé les planches de la salle Favart depuis… la fin du dix-neuvième siècle !

Née au tout début du temps des chemins de fer, à l’aube d’une véritable révolution des transports, l’oeuvre constitue un hommage et un adieu au métier de postillon, ce cocher qui conduisait les voyageurs à travers la France depuis plusieurs siècles. C’est donc cette figure du postillon qui occupe la place centrale du récit à travers le personnage de Chapelou qui, le jour de son mariage, se retrouve entraîné loin de chez lui par l’Intendant des Menus-Plaisirs de Louis XV. Ce dernier veut en effet lui faire intégrer l’Académie Royale de Musique, et tant pis pour l’épouse abandonnée ! Véritable comédie romantique où se mêlent ambitions d’ascension sociale, quiproquos, intrigue amoureuse et satire sociale, l’oeuvre traduit également le regard porté par les romantiques du XIXe siècle sur le règne libertin de Louis XV, et s’offre donc comme un doux fantasme anachronique.

Cela est fortement mis en valeur à travers la mise en scène de Michel Fau, qui décrit lui-même cet imaginaire bourgeois comme étant « entre la porcelaine et la pâtisserie, entre le sucré et l’acidulé ». C’est exactement ce qui ressort du parti pris esthétique du spectacle : de l’ouverture campant une scène de mariage sur un gâteau géant, au carrosse tiré par des chevaux de manège, sur fond de grandes toiles peintes aux couleurs vives et tranchées, ces images bariolées, baroques, rococo – emblématiques du style Michel Fau – évoquent un monde burlesque façon « pays des bonbons ». Entre fête foraine et livre pop-up, avec son mélange d’éléments en deux ou trois dimensions, frôlant le mauvais goût tout en restant étonnamment agréable, vive, joyeuse, la scénographie annonce déjà que c’est bien la comédie qui doit ici être mise en avant et tirée à l’extrême. Peut-être un peu trop d’ailleurs, car dans ce foisonnement coloré, on a le sentiment de perdre un peu du fond de l’histoire en ce qu’elle dépeint de la société, pour se concentrer sur ce qu’elle peut offrir de doux, de léger et de jubilatoire. Cependant, si l’on peut critiquer le choix de ce parti pris, on doit admettre qu’il est fort bien mené, et après tout, ne savions-nous pas qu’en lisant « Michel Fau » sur le programme, on acceptait de se soumettre à cet excès haut en couleurs ?

La direction d’acteurs s’inscrit dans la droite ligne de ce parti pris avec un jeu poussé, exubérant, à la limite de la parodie. Quel plaisir cependant de voir une telle attention portée au texte parlé, au jeu théâtral ! Les personnages sont si vifs, si présents qu’ils semblent tout à la fois sortis d’un Feydeau et d’un dessin animé pour enfants. Les transitions entre parlé et chanté se font avec fluidité, sans accroc, bien que le style de diction « paysan » employé dans l’acte I tranche avec l’élégance lyrique – mais ce contraste est délibéré lui aussi.

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Michael Spyres est un Chapelou attachant avec son léger accent américain et sa diction en tout point parfaite – dans le parlé comme dans le chanté, nul besoin de lire le surtitrage. Il projette les fameux contre-ré comme s’il s’agissait pour lui d’un jeu d’enfant, et fait la démonstration de son ambitus exceptionnel : assurément, c’est bien un « gosier en or » ! De plus, on ressent le plaisir qu’il éprouve à interpréter ce rôle, tant pour ses prouesses vocales que pour les parties jouées, où sa performance nuancée, pleine de second degré, n’a rien à envier aux acteurs français… Son plaisir est communicatif. Florie Valiquette est saisissante par l’aisance avec laquelle elle transforme sa voix selon qu’elle joue la Madeleine paysanne ou châtelaine : c’est du grand art. Si l’on se demande au début pourquoi cette voix semble un peu contrainte, retenue (la projection en est par ailleurs un peu trop faible pour la salle Favart), on comprend, en retrouvant dans l’acte II une Madeleine à la voix bien déployée qui fait briller les vocalises, que tout cela était volontaire pour jouer la dualité du personnage, et le pari est réussi. A la fois drôle et arrogante, touchante et impressionnante, elle incarne à merveille ce personnage féminin d’une force et d’une indépendance remarquables pour l’époque. De son côté, Franck Leguérinel campe un marquis de Corcy particulièrement éclatant, notamment dans le parlé, avec une expressivité comique très marquée. Enfin, on ne peut conclure sans dire un mot de Michel Fau qui, passionné du travestissement comme à son habitude, s’octroie le rôle de Rose, la confidente de Madeleine : avec une franche auto-dérision et un aplomb à toute épreuve, il nous offre un ballet des plus réjouissants et ne cesse d’enchaîner les mimiques hilarantes et les répliques au phrasé faussement tragique. Il fallait oser !

Pour aborder ce type de spectacle à l’intention très marquée et au goût particulier, il faut savoir où on met les pieds. Assurément, le spectateur adore ou déteste, mais l’on peine à imaginer qu’il puisse vraiment y avoir là une quelconque demi-mesure. Pour nous, c’est un grand oui, ce Postillon de Lonjumeau vaut le détour pour une soirée détonante !

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© Stefan Brillon – Opéra Comique

Informations pratiques

Auteur(s)
Composé par Adolphe Adam

Mise en scène
Michel Fau
Direction musicale
Sébastien Rouland

Avec
Michael Spyres, Florie Valiquette, Franck Leguérinel, Laurent Kubla, Michel Fau, Yannis Ezziadi, Julien Clément, le Choeur accentus (Opéra de Rouen-Normandie) et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie

Décors Emmanuel Charles
Costumes Christian Lacroix
Lumières Joël Fabing
Maquillage Pascale Fau
Assistante musicale Stéphanie-Marie Degand
Assistant costumes Jean-Philippe Pons
Chef de chant Cécile Restier

Dates
Du 30 mars au 9 avril 2019

Durée
2h30

Adresse
Opéra-Comique
1, Place Boieldieu
75002 Paris

Informations complémentaires
www.opera-comique.com