Article d’Ondine Bérenger
Miroirs et métaphores
Le Prince de Léon, afin de découvrir le monde, voyage sous le nom de Lélio et entre au service de la Princesse de Barcelone, qui s’éprend de lui. Mais le jeune homme est amoureux d’Hortense, parente de la Princesse, qu’il a autrefois sauvée de brigands, et cet amour est réciproque. Dans le même temps, le Prince de Castille, se faisant passer pour son propre ambassadeur, vient demander la main de la Princesse, tandis que Frédéric, le conseiller, est prêt à tout pour assouvir ses ambitions, et qu’Arlequin court de tous côtés pour obtenir quelque salaire. Dans cet immense palais, chacun avance masqué, se mêlant aux intrigues amoureuses et politiques qui s’y déroulent, pour tenter d’obtenir ce qu’il désire et de devenir qui il est.
© Arnold Jerocki
Daniel Mesguich signe ici une mise en scène à l’esthétique picturale, géométrique, qui confère à la pièce une ambiance particulière, étrangement inquiétante, par son jeu d’éclairage et ses costumes asymétriques. Dans ce sombre palais labyrinthique où résonnent parfois des cris effrayants, au milieu d’une galerie des glaces faite de vitres sans tain, tout n’est que faux-semblants, reflet, inversion, illusion, métaphore vertigineuse. La scène, ici, se fait elle-même théâtre où les situations se renversent sans cesse. Observés et manipulés (mis en scène, pourrait-on dire) par une souveraine autoritaire cachée derrière ses faux miroirs, les personnages s’égarent, se perdent, mais tiennent leur rôle en se cherchant eux-mêmes.
On reconnaît bien ici les thèmes chers à Daniel Mesguich : dédoublements, inversions, reflets, remise en question perpétuelle, et par dessus-tout, théâtre, mis en abîme, mis en scène, omniprésent et pourtant comme insondable, à la fois toile de fond et cœur de l’intrigue.
© Arnold Jerocki
Sur le plateau, le texte de Marivaux semble véritablement prendre corps, mis en relief par de multiples effets visuels et sonores qui en donnent à entendre toute la richesse, la subtilité mais aussi la noirceur sous-jacente à la comédie, porté, qui plus est, par une excellente distribution. De la trouble et fière Princesse (charismatique Sarah Mesguich) au divertissant – mais indispensable – Arlequin (Alexandre Levasseur, brillant par la richesse de son jeu), en passant par le sombre Frédéric (William Mesguich, regard machiavélique et présence glaçante), tous les comédiens font preuve d’une grandeur rare. Et parmi eux, lumineuse comme une apparition, l’éblouissante Sterenn Guirriec interprète la délicate Hortense avec une ardeur magnétique et une force exceptionnelle.
Mise en scène d’une intelligence précieuse, esthétique fascinante et interprétation virtuose font de cette représentation un grand moment de théâtre.
Le Prince Travesti
de Marivaux
mise en scène Daniel Mesguich
avec Sterenn Guirriec, Sarah Mesguich, Rebecca Stella, Alexis Consolato, Alexandre Levasseur, Fabrice Lotou, et William Mesguich
Costumes Dominique Louis
Scénographie Camille Ansquer
Son Franck Berthoux
Maquillage Eva Bouillaut
Régie Générale Eric Pelladeau
Régie son Xavier Launois
Régie lumière Florent Ferrier
du 9 mars au 10 avril
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
http://www.epeedebois.com