« LE SOURIRE DU DORMEUR » La poésie de Nouri Al-Jarrah est-elle théâtrale ?

LE SOURIRE DU DORMEUR de Nouri Al-Jarrah Anthologie poétique parue chez Actes Sud (Sindbad) et traduite de l’arabe (Syrie) par Antoine Jockey.

Le poète Nouri Al-Jarrah est né à Damas en 1956. Il vit à Londres depuis 1986 où il promeut la littérature féminine en langue arabe et dirige le centre arabe de littérature géographique. Sa poésie est à la fois fidèle à la tradition poétique arabe et marquée par la modernité.
Ici, l’anthologie rassemble dix œuvres ordonnées chronologiquement, mais dans le sens d’une remontée dans le temps.
• Les derniers mots d’Homère 2019
• Une barque pour Lesbos 2016
• Le désespoir de Noé 2014
• Le jour de Caïn et les sept jours du temps 2012
• Le chemin de Damas 2004
• Le jardin Persan 2004
• Les Jardins d’Hamlet 2002
• L’Ascension d’Avril 1995
• Coupe Noire 1993
• Concurrencer la voix & Homme Mémorial 1988

La langue du poète est pleine de fulgurances : Nulle créature n’a vu la tristesse de l’arbre sans porter le feu loin de la forêt. Cette phrase d’ouverture évoque « L’œuvre des monstres » : bombardement des villes endormies, de nuit ou au moment de la sieste : Nulle créature n’est passée par ici sans entendre le sanglot des lits. La guerre cruelle et injuste, la guerre aux civils, la guerre à sa propre population.

Vient ensuite l’évocation de l’exil. Monter dans une barque pour Lesbos en se mettant sous la protection de Sapho. S’ensuit une sorte d’échange à neuf voix décrivant chacune un acte de guerre à l’encontre de la population désarmée. Chercher un asile ? se chercher soi-même ? L’air qui m’a empli les poumons de l’odeur des champs a gorgé mon cœur de l’odeur de la mort.

L’évocation de la barque débouche sur la figure de Noé, lequel chante une berceuse consolatrice : .Dors, mon chéri, dors. Les coupables sont revenus du ciel et t’ont laissé à moi, corde coupée d’une guitare et mélodie….

Dans tous ces poèmes, la présence de la guerre est constante. C’est que les Assad, père et fils, dictateurs patentés et cruels, n’ont jamais reculé devant rien. Depuis 1970, la population opprimée est assassinée systématiquement au moindre mouvement d’humeur. On soupçonne Aloïs Brunner, chef nazi réfugié en Syrie et protégé par Hafez, le père Assad, d’avoir été chargé par ce dernier de la mise en place du système répressif. Il s’y connaissait !
Et c’est pour cette raison, que, même en remontant le temps, Nour Al-Jarrah, bien qu’amoureux des jardins, du parfum des roses, et des soleils couchants, ne fait toujours qu’y revenir.

Cette langue riche, pleine de métaphores et d’allusions à l’antiquité et aux religions, serait malheureusement difficile à porter sur une scène de théâtre. Dans les maisons de la poésie, en revanche, on pourrait voir des comédiens porter cette voix tragique et actuelle, pour faire connaître l’univers extraordinaire de la poésie arabe. Nombre de créateurs portent des romans sur scène, peut-être serons-nous capables un jour d’y entendre des poèmes ?

Informations pratiques

Auteur(s)
Nouri Al-Jarrah

Prix
22,50 euros

Éditions Actes Sud
www.actes-sud.fr