« L’ÉLOGE DE LA FOLIE »  Les loges d’une Folie 2.0 

S’attaquer au parangon de l’humanisme qu’est Erasme n’est pas chose aisée, et le duo de metteurs en scène Sophie Guibard et Emilien Diard-Debeuf ne déroge malheureusement pas à la règle. Dans son Eloge de la Folie, l’érudit hollandais quitte sa plume alambiquée pour adopter une langue vernaculaire et plaisante, dans une forme discursive où il n’y a qu’un pas à franchir avec le théâtre. Dans ce monologue, l’auteur met la Folie en tribune afin qu’elle dresse son propre dithyrambe, faute d’admirateurs zélés. Cette dernière prend le contrepied de la sagesse et véhicule l’amour de la vie faisant fi de la raison. A travers ce personnage, Erasme pose aussi les fondations de la Réforme et dresse un pamphlet satirique contre l’Eglise. La Folie souligne en effet que le théâtre a en moins ça d’hypocrite, qu’il assume pleinement sa nature illusoire. Poussant la réflexion sur ce point, la compagnie Le Théâtre Derrière le Monde en propose une réécriture comique, avec l’ajout d’un personnage, le bouffon, qui vient donner réplique à la Folie. Les deux personnages s’échangent la couronne à tour de rôle, le doute demeure : mais qui donc est fou ?

L’évocation du théâtre itinérant est réussie, un paravent peint où figure un planisphère suffit à planter le décor et les costumes font penser à ceux des comédiens de tréteaux. La comédienne Elsa Grzeszczak est néanmoins peu convaincante dans le rôle, elle démultiplie ses facettes rappelant ainsi les personnalités multiples de la Folie mais son jeu n’est pas assez mûri, c’est dommage. Elle imite toutefois très bien la marionnette, surélevée à mi-corps derrière le paravent. L’intrigue s’égare par ailleurs dans la pseudo-amourette inventée entre le bouffon et la Folie. On regrette la trivialité pléthorique entre les deux personnages et la pièce s’appuie sur un comique de répétition rapidement lassant. S’y ajoute un lot de musiques commerciales dont on aurait pu faire l’économie.

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© Didier Pallagès

La pièce a néanmoins le mérite de revêtir une forme pédagogique, elle pourrait tout à fait s’adresser à un jeune public – à l’exception de certaines scènes licencieuses. Joignant ainsi l’utile à l’agréable, le comédien contextualise l’œuvre, son auteur, le courant humaniste et les tensions politiques de la Réforme en allant à l’essentiel sans être trop rébarbatif. Le travail sur l’œuvre est fouillé, le texte jongle entre l’original et sa relecture contemporaine, actualisant ainsi ce texte de la Renaissance. Du reste, force est de reconnaître un certain nombre de bonnes plaisanteries, la Folie imite notamment un personnage de téléréalité et le bouffon, Joseph Fourez, est très drôle avec ses démarches maniérées, ses intonations clownesques et ses imitations épatantes du bestiaire fermier. La mise en scène opère également une mise en abyme à trois degrés du théâtre aussi intéressante que déroutante : aux deux-tiers du spectacle les comédiens ouvrent le paravent, retirent leurs costumes et l’on découvre les loges de la Folie (on aime la subtilité et la pertinence du jeu de mots), puis vont jusqu’à retourner l’envers même du décor.

Des bonnes choses donc, qui se noient malgré tout dans des détours insipides et des grivoiseries insistantes. « Je hais un auditeur qui se souvient de tout » affirmait non sans dérision Erasme à la fin du texte, gageons de le prendre au mot et de ne garder à l’esprit que le meilleur de ce spectacle.

 

Informations pratiques

Auteur(s)
Érasme

Mise en scène
Sophie Guibard & Émilien Diard-Detoeuf

Avec
Joseph Fourez & Elsa Grzeszczak

Dates
Du 19 au 29 septembre 2017

Durée
1h

Adresse
La loge
77 rue de Charonne
75011 Paris

http://www.lalogeparis.fr