"LES DAMNÉS" Le pouvoir obscur de l’idéologie

Une idéologie, quelle qu’elle soit, peut grandir et s’insinuer partout. Elle constitue un danger en elle-même. Sans se faire remarquer, elle prend le contrôle des personnes, des plus faibles au plus puissantes, et les instrumentalise, les privant de toutes leurs libertés d’opinions peu à peu. En reprenant le scénario du film de Visconti, et donc le contexte de la montée du nazisme en Allemagne dans les années 30, Ivo van Hove rappelle le risque du développement d’une idéologie grandissante, comme on peut l’observer en Europe et dans plusieurs coins de notre monde.

La puissance qui se dégage du plateau est indéniable. Les nombreux comédiens entraînent leur audience à observer comment, de manière tout à fait insidieuse, même une famille de la haute bourgeoisie, qui n’est pas directement mise en danger par le nouveau régime en place, est infectée en profondeur par ce poison que ce dernier constitue. La volonté de pouvoir des différents personnages est appuyée ou refusée dans l’ombre par les forces humaines de cette nouvelle idéologie. Les Damnés démontrent à leurs spectateurs la fragilité de l’être humain, de l’individu, face la puissance de l’instrumentalisation politique. Le public se voit offrir le spectacle de ces esprits se croyant libres sombrant, se débattant, impuissants, dans cet océan obscur qu’était la montée du nazisme. Et comme le dit le metteur en scène, il vaut probablement mieux voir cela dans un contexte artistique, et se rendre compte avant du danger, que trop tard dans un contexte réel.

Et Ivo van Hove le montre très clairement, sans toutefois manquer de subtilité. L’utilisation de la vidéo, en direct ou préenregistrée, permet de pénétrer l’intimité , et donc le désarroi grandissant des différents personnages, même si elle peut par moments donner l’impression d’assister à un film plutôt qu’à une pièce de théâtre. Malgré une direction d’acteurs parfois étrange, la magnificence des images mises en scène et la justesse des partis pris permettent de conserver l’attention de l’audience pendant les deux heures du spectacle sans vraies longueurs.

N’étant pas une adaptation du film de Visconti, la pièce propose un nouveau média pour cette histoire, et capte les esprits autrement, peut-être même plus violemment. Inquiétant, obscur, et parfois choquant, Les Damnés permet un rappel du passé et un réveil sur le présent dont l’absolue nécessité n’est plus à prouver.

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli

Mise en scène
Ivo van Hove

Avec
Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavlo, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Pierre Louis-Calixte, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Sébastien Pouderoux, Didier Sandre, Anna Cervinka, Christophe Montenez, Sébastien Baulain, Basile Alaïmalaïs, Thomas Gendronneau, Tom Wozniczka, Peio Berterretche, Thomas Keller, Olivier Lugo