« LES ÉRINYES, FILLES DU DÉSESPOIR », La tragédie, comme ouverture à la conscience et sortie du désespoir

LES ÉRINYES, FILLES DU DÉSESPOIR de Dino Pešut aux éditions L’Espace d’un instant, traduit du croate par Nicolas Raljevic

Dino Pešut est né en 1990 à Sisak, en Croatie, dans une période de changements géopolitiques majeurs, qui marquent son œuvre. Diplômé de l’Académie des arts dramatiques de Zagreb, il travaille comme dramaturge et metteur en scène dans différents pays européens. Cette pièce a été écrite à Zagreb en 2015 avec pour titre « 4 vidéos, tragédie lycéenne ». Son titre est devenu « Les Érinyes, Filles du désespoir » et est la première partie de la trilogie d’ « Olympiastadion ». Trilogie qui a reçu un prix en 2017.

Une pièce courte, cinq scènes de quelques minutes chacune, indiquant le temps du déroulé de l’action. Le monologue choral des « Trois sœurs méchantes », les « Érinyes, filles du désespoir » ponctuent la fin de chaque scène et font progresser l’intrigue, comme autant de prise consciences successives par les personnages principaux. Les quatre personnages principaux que sont Roza, son frère Dane, Martin et Sajin, quatre adolescents pris dans la tourmente de la violence, des pulsions, des désirs non révélés, à peine dicibles. Comment s’assumer, assumer ce que l’on est, ce que l’on découvre malgré soi de soi à l’adolescence, ce qui affleure au travers de ses actes, se tenir face à soi-même, sans projeter sur l’autre sa violence, sa vengeance, sa haine, ses désirs, son impulsion par incompréhension de soi et de ce qui pousse à agir. Et si grandir était de démêler ces enchevêtrements d’incompréhension pour assumer ses paroles et ses actes et se connaître. Et si grandir se faisait avec des restes de choses que l’on aurait aimé ne pas faire et qui éveille à une conscience de soi.

Nous retrouvons ces quatre adolescents, lycéens à la veille du baccalauréat, aux prises avec une situation délicate et difficile, une problématique bien actuelle à laquelle sont confrontés les adolescents : la pornographie en ligne, la diffusion d’images en ligne intimes et violentes mais également aux pratiques sexuelles de ces jeunes gens dans leur devenir adultes. Comment devenir adulte et traverser l’adolescence à notre époque ?

Peut-on traverser l’adolescence sans perdre quelque chose, sans laisser de plumes ?

Tout bascule en cinq minutes, par la diffusion de « Quatre vidéos d’une durée globale de sept minutes » sur WhatsApp à la veille du baccalauréat. Le baccalauréat comme symbole du passage à l’âge adulte, la traversée de l’adolescence.

Nos quatre protagonistes vont se retrouver aux toilettes du lycée, non plus pour fumer, discuter, s’aimer. Le lieu de leur intimité devient le lieu du rassemblement pour faire face à un impensable, la diffusion relayée sur les réseaux sociaux de scènes de violence sexuelle : viol d’une fille, Maija dont est amoureux en secret Dane, par trois garçons et tentative de pénétration et de sexe oral.

Tour à tout, chacun est débordé par ses peurs et ses pulsions, qui vont lui révéler un bout de soi, de leurs propres désirs. Tour à tour chacun est marionnettisé par la peur, la honte de soi et des désirs. La crainte de soi déversée sur l’autre, les autres donnant lieu à un déchaînement de violence dans le lycée.

Roza se questionne et se demande où est sa seule amie Marija, filmée à son insu. Elle craint pour elle le pire et cherche à la joindre, et derrière elle les protagonistes la suivent et se livrent, livrent leur peur de soi, sans même sans rendre compte. Prises de conscience successives des personnages rythmées par les monologues successifs en fin de scène des « Trois sœurs méchantes » qui symbolisent tour à tour le rejet de la différence, la conformité à la norme, le destin, l’humiliation et la métamorphose. « les Érinyes », sont les déesses infernales qui se transforment en “vénérables” et représentent ce qui ne se voit pas. Elles personnifient la malédiction et sont chargées de punir les crimes.

La difficulté, la vérité, pour se dépasser et se connaître.

Dino Pešut a une écriture crue comme celle des images diffusées sur les réseaux sociaux et le langage des adolescents entre eux. Ses thèmes de prédilection sont la croissance et l’amitié.

Informations pratiques

Auteur(s)
Dino Pešut

Prix
12 euros

Éditions L’Espace d’un instant
parlatges.org