« LES FORTERESSES », Cœur en exil de 3 sœurs

Les Forteresses de Gurshad Shaheman © Agnès Mellon

Trois sœurs évoquent leurs trois vies ébranlées par l’histoire iranienne, « trois destins hors du commun, à la fois conjoints, exemplaires et universels, où l’intime et le politique sont inextricablement mêlés ». Sur une scène transformée en salon persan, des spectateurs ont le choix d’occuper les sofas avec thé et gâteaux servis. L’auteur et metteur en scène Gurshad Shaheman réunit sa mère et ses deux tantes, la première exilée en France, la seconde en Allemagne et la troisième restée en Iran. Accompagnées par trois fantastiques « récitantes » à la diction parfaite, elles racontent leurs jeunesses et leurs rapports douloureux aux hommes, leurs combats pour l’émancipation balayés par la révolution de 1979, la guerre avec l’Irak et les paysages dévastés, l’aéroport, l’arrivée en Europe. Nous écoutons les récits intimes de ces femmes, fascinés par leurs pulsions de vie plus fortes que leurs plaies. Cette fresque historico-poétique aux allures de veillée solennelle, résonne puissamment avec l’actuel mouvement de contestation des femmes iraniennes.

À partir d’interviews menées auprès de sa mère et de ses tantes, l’auteur écrit trois monologues sur leurs vies, sans interaction entre elles. Toutes trois sont nées aux débuts des années 1960 au cœur de l’Azerbaïdjan iranien. Elles ont vécu la révolution de 1979, connu la désillusion, traversé 8 ans de guerre. Dans une géographie éclatée entre l’Europe et l’Iran, la pièce Les Forteresses déroule le tapis du récit de ces trois destins.

En juillet 2018, l’auteur créé le projet Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète au festival d’Avignon. Sa mère fait le déplacement de Lille pour voir le spectacle et sa sœur cadette, installée à Francfort depuis près de vingt ans, vient d’Allemagne. Leur troisième sœur, qui vit encore à Téhéran, prend un avion pour les rejoindre. Cela faisait onze ans qu’elles n’avaient pas été ainsi réunies toutes les trois. Elles ont vécu plus d’un demi-siècle et leurs petites histoires de vie contiennent en elles la grande Histoire d’une partie du monde de la seconde moitié du vingtième siècle. Chacune l’a vécue d’un point géographique différent, baignée dans une langue et un environnement culturel différents.

Sa mère, l’ainée des trois sœurs, s’est établie en France en 1990. À peine deux ans plus tard, sa cadette, a entamé avec ses deux enfants un parcours de réfugiée en Allemagne. La dernière est restée en Iran. À travers trois monologues entrelacés, chacune passe en revue son enfance, la relation aux parents, les études, l’engagement politique, le rapport aux hommes, au mariage, à la maternité, à Dieu, à l’exil… Leurs voix se succèdent et se complètent, tissant un réseau de sensations et d’idées, dressant trois paysages intimes enchevêtrés où chacune fait pour elle-même le bilan de sa vie.

La scénographie est inspirée des restaurants de plein-air dans le nord de Téhéran où les clients mangent assis sur des lits recouverts de tapis installés. La frontière entre la scène et la salle est ainsi gommée et la scénographie invite à une convivialité. Deux des plateformes, plus grandes, placées respectivement en fond et en avant-scène servent d’estrades où de petites scènes de la vie quotidienne contrebalancent le tragique des destins. Les couloirs de circulation entre les plateformes utilisés en tant qu’espace de jeu, dynamisent le dispositif.

Chacune des femmes est doublée par une actrice franco-iranienne qui prend en charge le récit de sa vie. Il y a donc un dédoublement entre les corps et les voix. Les trois femmes qui ont confié leurs histoires sont physiquement présentes sur le plateau et prennent en charge toutes les actions théâtrales. Mais leurs histoires sont portées par trois actrices, trois « conteuses » qui déroulent le fil des événements de leurs vies. Chaque figure est donc scindée en deux : un corps réel et une voix fictionnelle. Autant les conteuses sont immobiles, autant les interprètes se déplacent avec des actions comme la fabrication d’une pâte dont la farine voltige. Les trois actrices/conteuses sont équipées de micro HF et leur voix est toujours soutenue par de la musique électro-acoustique composée et jouée en direct par Lucien Gaudion. L’intégralité du texte vient ainsi s’inscrire dans une bande-son originale se déployant sur toute la durée de la pièce. Ce filet tendu est interrompu à trois reprises : la pièce est divisée en 3 chapitres, chacun se terminant par une chanson azérie interprétée en direct par l’auteur, seule contribution vocale au plateau, le reste du temps, il n’est qu’une oreille dans laquelle les trois femmes déversent le récit de leurs tourments. Le choix de l’azéri a son importance car c’est la langue maternelle à tous les quatre, brimée et réduite à l’état de patois par la culture dominante perse.

Depuis janvier 2022, la compagnie « La ligne d’ombre » est conventionnée par la DRAC Hauts-de-France. Parallèlement à la production de Sur Tes Traces / Portraits croisés, la compagnie travaille à l’élaboration de deux autres projets ainsi qu’à la mise en place de différentes actions à l’intention des publics en accompagnement des spectacles. En février 2023, Bedtime voit le jour au CCAM de Vandoeuvre-lès-Nancy. Il s’agit d’une performance participative autour de la figure de Madonna. Puis, en avril 2023, au Monastère de Brou à Bourg-en-Bresse, le projet lauréat de la bourse Mondes Nouveaux, Jadis, lorsque mon cœur cassa, élabore une installation sonore à partir de récits de personnes en parcours de soin dans des institutions psychiatriques.
Les Forteresses a été édité aux éditions Les Solitaires Intempestifs en septembre 2021.

Forteresses_web@Agnès-Mellon
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Les Forteresses de Gurshad Shaheman © Agnès Mellon

Informations pratiques

LES FORTERESSES – Compagnie La ligne d’ombre

Écriture et Mise en scène
Gurshad Shaheman
Assistanat à la mise en scène Saeed Mirzaei

Interprétation
Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar, Gurshad Shaheman et les femmes de sa famille
Création sonore Lucien Gaudion
Lumière Jérémie Papin
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Dramaturgie Youness Anzane
Régie générale Pierre-Eric Vives
Régie plateau, accessoires Jérémy Meysen
Costumes Nina Langhammer
Maquillage Sophie All gatiére
Coaching vocal Jean Ferst

Dates
Jeudi 30 novembre et vendredi 1er décembre 2023 à 20h au Théâtre 71, Malakoff Scène nationale

Durée
2h50

Adresse
Malakoff Scène nationale, Théâtre 71
3, place du 11 Novembre
92240 Malakoff

Informations complémentaires

Malakoff Scène nationale, Théâtre 71
malakoffscenenationale.fr/theatre-71/programme

Compagnie La ligne d’ombre
www.lalignedombre.com