[Les Hivernales Avignon] "HABITER LE SEUIL" de Marine Chesnais Cie One Breath, un voyage en profondeur pour se reconnecter au Vivant

Habiter le seuil de Marine Chesnais, Cie One Breath © Gwendal Le Flem

Pour cette 45^ème édition du festival Les Hivernales à Avignon, les chorégraphes présents ont en commun de porter un regard attentif et sensible sur le vivant qui nous entoure. C’est particulièrement vrai dans la nouvelle création de Marine Chesnais, Habiter le seuil initiée en 2021 en partenariat avec LaScierie. La danseuse-chorégraphe-apnéiste férue d’aventures marines nous entraîne dans une odyssée immersive dans le grand bleu et nous invite à repenser notre lien au Vivant. Elle a créé sa compagnie One Breath en 2017, un laboratoire de recherche en danse «bio-inspirée» tournée vers une écologie culturelle et corporelle. Le programme a été pensé pour relier directement des expériences d’immersions sous-marines à un processus de création pour le plateau. Passionnée de plongée en apnée, les explorations autour de la fluidité interne et les pratiques énergétiques autour du souffle et de la résonance, sont au cœur de ses recherches créatives.

En juillet 2020. Marine Chesnais plonge à la rencontre des baleines à bosse de l’île de La Réunion et c’est aussi une rencontre vertigineuse, de l’apnée et des profondeurs marines, une reconnexion par le corps à une nature soi-disant hostile. De ces interactions dans l’Océan Indien naissent des improvisations dansées en apnée, qui sont filmées comme matière de recherche pour le duo chorégraphique. Comment la rencontre avec ces cétacés sauvages et indomptés dans son milieu naturel peut aider l’humain à se reconnecter à la Nature ? à recréer un lien sensible et affectif avec elle et ainsi lui donner envie de la préserver.… Au fur et à mesure de la descente, quand l’air commence à manquer et que devant cet animal nous ne contrôlons plus rien, commence alors un autre voyage. Celui d’un seuil à franchir. Celui du miroir inversé que nous renvoie l’oeil de la baleine et qui nous invite à choisir comment nous souhaitons entrer en relation, comment nous souhaitons habiter cet « espace entre », cet interstice entre deux mondes, dans cet environnement qui nous entoure. Est-il possible d’être présent ensemble dans un espace sans que l’un domine l’autre ? Que doit-on abandonner, ouvrir ?

Habiter le seuil est un diptyque composé du film émouvant de Marine Chesnais et Vincent Bruno, tourné en apnée, à mi-chemin entre le documentaire et le voyage sensoriel et hypnotique sous l’eau, le souffle suspendu et d’une pièce dansée extrêmement écrite et précise portée par Marine Chesnais en duo avec la danseuse Clémentine Maubon. Nous nous intéressons ici à la création chorégraphique. Le public installé dans un espace quadri-frontal éclairé par des lumières bleues est plongé dans une quasi-obscurité rappelant les profondeurs marines. Nous distinguons à peine au début le corps de deux femmes qui s’avancent lentement dans leur combinaison bleu vert luisante aux formes d’écailles. Elles contrôlent leur respiration comme si elles étaient en apesanteur et vont jusqu’au rond noir central où elles pénètrent finalement avec en fond sonore le bruit des vagues. Sur cet espace où leur corps se reflètent comme à la surface de l’eau, les danseuses comme en suspension progressent lentement et leur respiration et leurs gestes fonctionnent en harmonie avec le décor lumineux qui représente l’immensité du grand bleu. La voix off accompagne les différentes étapes de ce cheminement : état du corps à la descente, l’arrivée sur « le seuil », la rencontre possible de l’autre, ce que cela convoque chez l’individu et la possibilité de s’élever et de se reconnecter à la Nature.

La première partie laisse un fort impact comme si le public était suspendu aux respirations des deux jeunes femmes et leurs mouvements et ondulations entrent en dialogue tantôt réagissant en miroir ou par des actions suiveuses comme si elles voulaient laisser une empreinte ou bien prendre modèle sur l’autre. Cela pourrait être une sorte d’apprivoisement de cet autre qui me fait face, semblable et parfois bien différent que j’évite, dont je recherche la présence jusqu’à adopter un comportement mimétique.
Il est intéressant d’évoquer ici la création Solace (cf critique Théâtre Actu Solace) de la marionnettiste berlinoise Uta Gebert / Numen Company dont Marine Chesnais signe la co-écriture où l’environnement et le souffle sont importants. Le jeune Solace laisse échapper un souffle d’angoisse et va peu à peu s’ouvrir à l’espace qui l’entoure qui est à première vue hostile. Sans paroles, avec une enveloppe sonore élaborée, les sens sont mis en éveil dans un espace confiné. Tout comme dans la nouvelle proposition de Marine Chesnais où il est important de trouver les ressources à l’intérieur de soi, avec les autres et dans la Nature. Une image forte est celle des deux jeunes femmes étendues sur le sol comme rassérénées de leur voyage dans les profondeurs. Revenant à la surface, un autre dialogue s’instaure entre les protagonistes et leur environnement, riche de leur expérience du grand bleu.
Un travail élaboré, de la maîtrise et de la sensualité dans cette expérience collective unique !

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Habiter le seuil de Marine Chesnais, Cie One Breath © Gwendal Le Flem

Informations pratiques

HABITER LE SEUIL – Cie One Breath Création 2021
LES HIVERNALES Festival de danse Avignon du 31 janvier au 18 février 2023

Conception, chorégraphie et scénographie
Marine Chesnais

Interprétation
Clémentine Maubon et Marine Chesnais
Création musicale François Joncour avec la collaboration de Stephen O’Malley
Costumes Anne Mailhol et Marine Chesnais
Lumière Jérôme Houlès
Écriture voix off Marine Chesnais avec le regard de Patrice Van Eersel