Article de Paula Gomes
Trois femmes au bout du rouleau…
Un intérieur sommaire, trois bourgeoises devant un téléviseur retransmettant une messe papale, ce pourrait être un après-midi ordinaire. C’est sans compter sur l’écriture acerbe et iconoclaste du dramaturge autrichien Werner Schwab qui entraîne le public dans un terrain plus que glissant, un théâtre populaire et scatologique. L’homme provocateur au look de rocker connaît le succès avec sa première pièce « Les Présidentes » en 1990, prémices d’une œuvre fulgurante qui s’achèvera par sa mort prématurée à 35 ans.
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Ce premier tableau des Drames fécaux représente trois Autrichiennes catholiques, esseulées et désargentées dans un pays apparemment remis de l’épisode nazi. Dans sa cuisine Erna, la vieille bigote, économe découpe un journal en guise de papier toilette et fantasme sur un charcutier polonais. Tandis que Grete, la vieille nymphomane voue un culte à sa chienne Lydie depuis le départ à l’étranger de sa fille Hannelore. La petite Marie débouche les toilettes à mains nues comme un acte de foi. Autour de la défécation, des discussions sur la famille, la religion, la politique et la sexualité, où chacune livre sa réalité, ses secrets, ses désirs et le mensonge avec lequel elles luttent contre la misère quotidienne. Qu’arrive-t-il lorsque l’une d’entre elles vient briser la fiction et ce bonheur illusoire ?
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La mise en scène de Bea Gerzsenyi met l’accent sur le jeu des acteurs dans un décor épuré et transmet la singularité et la fragilité des personnages durs et pathétiques enfermés dans leur corps (Grete en fauteuil roulant), dans la religion comme la naïve petite Marie ou dans les obligations domestiques et les convenances pour Erna. Justesse de l’interprétation des comédiens : Cécile Durand est une admirable petite Marie, Philippe Boyaire une Grete attachante en reine de beauté fanée et Maria Degano une ménagère frustrée. Portraits de victimes de la vie (ou de bourreaux) aux rêves chimériques dans un univers musical intéressant (chansons de Max Raabe) et un décor ingénieux où les objets se prennent « à la coupe » à mesure de l’intrigue.
Werner Schwab dénonce la société autrichienne d’après-guerre et sa politique de l’oubli qui a fait de la dissimulation et la tromperie une routine vitale. Une critique sociale et religieuse où la seule alternative est la violence et la confrontation, des propos éclairant la société d’aujourd’hui. Dans la lignée des écrivains contestataires Thomas Bernhard et Elfriede Jelinek qui ont joué un rôle déterminant dans l’histoire et le devoir de mémoire et dont les écrits ont été mis au ban par les conservateurs jusqu’aux années 80-90. Cette pièce, la plus jouée du dramaturge continue de déranger et d’interroger les répercussions des non-dits post-traumatiques de la 2ème guerre mondiale sur l’histoire des gens ordinaires. Un spectacle rare, mordant, drôle et bien rythmé.
Les Présidentes
Compagnie Faut Plancher
Texte de Werner Schwab
Mise en scène Bea Gerzsenyi
Assistante, Costumière Ingrid Keresztes
Avec
Philippe Boyaire : Grete
Maria Degano : Erna
Cécile Durand : la petite Marie
Les mercredis 1er et 8 juin 2016 à 20h30
Bouffon Théâtre
26, rue de Meaux
75019 Paris
Au Festival d’Avignon
Du 11 au 26 juillet 2016 à 14h
Relâche les 12, 14, 16, 18, 20, 22 juillet 2016
Espace ALYA – Salle C
31 bis, rue Guillaume Puy
84000 Avignon