Article d’Ondine Bérenger
Humour du quotidien dans une Venise décadente
Au XVIIIe siècle, durant le Carnaval de Venise, Lucietta et sa belle-mère Margarita sont, comme toujours, contraintes de rester enfermées chez Lunardo, commerçant bourgeois qui tient à garder un pouvoir absolu sur la gent féminine. Le rustre vénitien, de même que ses amis Maurizio, Simon et Canciano, est un véritable tyran, et les femmes peinent à supporter leur absence totale de liberté. De plus, le bruit court que Lunardo compte marier sa fille Lucietta à Filippetto, le fils de Maurizio, sans même faire se rencontrer les deux fiancés… Marina, Margarita et Felice, les trois femmes excédées, décident alors d’échafauder un plan pour permettre aux deux jeunes gens de se voir avant leur mariage…
C’est entre les murs aux couleurs automnales d’une maison sans éclat que le spectateur découvre l’imbroglio comique qui l’emmène dans la Venise du XVIIIe siècle, en cours de déclin. Pas de décorations, un plafond bas et des portes toujours fermées, l’appartement est à l’image de son propriétaire ; et c’est ici que vont s’enchaîner les bouleversements de la vie quotidienne de ces riches familles vénitiennes. De cet habitat fermé, on ne sortira qu’une fois, mais, de temps en temps, l’on sera isolé de ce décor par un portail de métal aux petits hublots opaques : l’ambiance est ainsi habilement fixée.
Le jeu des comédiens est poussé ; mais ce qu’il perd en naturel, il le gagne en comique, et l’effet en est intarissable : les rires fusent dans l’assistance. Qu’il s’agisse de comique de répétition, situation, gestes, mœurs ou encore caractère, toutes les possibilités sont mises à profit pour divertir le spectateur. Ainsi, Christian Hecq incarne à merveille le personnage risible de Lunardo, en lui insufflant cette force théâtrale si particulière qu’il possède. A ses côtés, Laurent Natrella, dans le costume de carnaval tape à l’œil de Riccardo, accentue l’effet comique de la pièce. Par contraste, Rebecca Marder (Lucietta) et Céline Samie (Marina) interprètent des rôles plus naturels, ce qui permet de conserver un certain équilibre de jeu, et de rendre le spectateur davantage sensible au propos de la représentation. Car, en effet, il ne faut pas s’y tromper : sous ses aspects amusants, la pièce est également un témoignage de son époque et un moyen didactique encore d’actualité. Clotilde de Bayser le met très bien en avant grâce à son interprétation séduisante de Felice, cette femme déterminée et forte, qui n’hésite pas à défier et à remettre en question les rustres oppresseurs. Aux allures d’abord frivoles, ce personnage se révèle finalement être un véritable pilier de la pièce ; on pourrait presque la dire metteur en scène des personnages qui l’entourent. La comédienne, par sa présence scénique remarquable, sert fort bien le rôle.
Bien que la mise en scène ne soit pas une innovation, elle est habile et forme un ensemble cohérent. La très belle performance des comédiens, notamment de Christian Hecq et Clotilde de Bayser, porte la pièce, et l’on passe au Vieux-Colombier une soirée très agréable.
Les Rustres
de Carlo Goldoni
mise en scène Jean-Louis Benoit
avec Gérard Giroudon, Bruno Raffaelli, Coralie Zahonery, Céline Sami,
Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Christophe Montenez, Rebecca Marder
Décor Alain Chambon
Costumes Marie Sartoux
Lumières David Debrinay
Réalisation sonore Dominique Bataille
Maquillages et coiffures Catherine Bloquère
Assistante à la mise en scène Marjolaine Aizpiri
Assistante aux costumes Géraldine Ingremeau
du 25 novembre au 10 janvier
Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
http://www.comedie-francaise.fr/