"LES SEPARABLES" Tragédie en béton armé

Inséparables. C’est effectivement tout ce qu’ils ne sont pas. Ils ne débuteront ni ne finiront ensemble, que ce soit au plateau ou dans le conte. Car c’est un nouveau conte moderne que nous offre Fabrice Melquiot, dans lequel l’ingénuité d’enfants devra encore se confronter aux convictions absurdes du monde des adultes. Sabbah et Romain verront d’ailleurs corrompus leurs propres mots au fur et à mesure de leurs aventures. En prêtant les mots des parents aux comédiens interprétant les enfants, Emmanuel Demarcy-Mota amène le spectateur à voir réellement les paroles adultes s’insinuant dans ce monde innocent pour détruire à petit feu l’insouciance qui y règne. C’est avec une impuissance totale que l’on assiste à la transformation en lutte permanente de ce qui devait être un simple amour enfantin.

C’est d’ailleurs dans cette optique que le spectateur évolue tout d’abord. La scénographie mise en place reflète assez parfaitement la facilité de s’imaginer un monde différent de celui dans lequel nous vivons. Retrouver son âme d’enfant, croire dur comme fer à cette petite sioux amenant une assiette de makrouts à ce cow-boy galopant sur fond de Shakira, et se sentir blessés et perdus dans l’incompréhension face aux paroles pleines de peur et de préjugés des parents, tout cela est permis avec une étonnante simplicité. Et c’est cela qui, malgré un jeu parfois un peu trop égal des comédiens, amènera le spectateur à remettre en cause ce qu’il entend au dehors.

Ces enfants n’ont aucune chance de parvenir à satisfaire leur désir d’être ensemble. Aucune. Et pourtant il ne devrait rien y avoir qui s’y oppose. Voilà la vraie situation que proposent l’auteur et le metteur en scène. Sabbah et Romain s’apprécient et vivent à une rue l’un de l’autre. L’espace scénique est vide d’obstacles et répond à leurs différentes envies (forêt, appartement, cheval, bison blanc, etc). Ce n’est que l’idée du racisme présent dans la tête d’autres gens qui finira par les rendre ce qu’ils sont, séparables. Parce qu’il est normal de ne pas être d’accord avec ses parents, mais des parents, on en a qu’une fois. « Mon papa est peut-être raciste, mais c’est mon papa ». Cela ramènera malheureusement les enfants à la réalité, à la violence des adultes, à leur séparation.

Les Séparables nous font prendre conscience, à nous adultes et à nous enfants, que certains drames inéluctables se jouent encore entre les murs en béton armé de notre époque.