Article d’Ondine Bérenger
Révolution et liberté
Dans la lignée des soirées récurrentes organisées par le Théâtre 14 pour faire connaître au public de nouveaux textes, la lecture-spectacle de ce mois-ci s’orientait autour du travail d’Alan Riding, auteur anglais né au Brésil, et ayant longuement vécu en Amérique Latine. « Libertadores » et « Trahisons » sont deux de ses pièces montées en écho, portant sur le thème de la révolution et des régimes politiques qui en découlent.
Tout d’abord, « Libertadores » évoque un fait historique mal connu et sujet à de nombreuses spéculations : l’entretien entre le général Bolivar, libérateur du Vénézuela et de la Colombie, et le général San Martin, libérateur de l’Argentine, du Chili et ayant pris le contrôle de Lima, au sujet de la ville de Guayaquil, en Equateur, dont ils se disputent le contrôle.
La mise en espace astucieuse de la pièce (dans les décors d’Anna Karenina), ainsi que l’expressivité de la lecture des comédiens donne l’impression d’avoir accès à un travail déjà presque abouti et donc assez captivant. Le texte est simple, compréhensible, et apporte un éclairage intéressant sur un moment crucial de l’histoire de l’Amérique du Sud, il conviendra donc certainement à un public même peu familier avec ces événements. Malheureusement, l’œuvre s’enferme parfois dans un ton un peu trop didactique, qui fait perdre le naturel de la conversation entre les deux hommes. L’opposition entre le désir de gloire personnelle de Bolivar et l’altruisme de San Martin est juste, mais sans doute un peu trop poussée jusqu’à l’archétype, bien que les répliques soient riches et montrent toute une stratégie rhétorique de manipulation politique.
Rhétorique qui se poursuit d’ailleurs de manière encore plus éclatante dans « Trahisons », où un ministre est jeté en prison pour avoir organisé des réunions secrètes tenues pour contre-révolutionnaires par le parti dirigeant après une révolution. Intimidation, pitié, débat, promesses, tous les moyens sont employés par les différents protagonistes pour faire plier l’ancien ministre, qui n’a agi que par accès de dévotion envers l’acte révolutionnaire qu’il considère bafoué par le parti. Là encore, malgré quelques longueurs et un ton assez démonstratif, la pièce fait preuve d’une grande virtuosité dans la mise en évidence de relations humaines ambiguës et complexes, où se mêlent tous les travers d’individus mus soit par idéalisme, soit par avidité ou par désir de sécurité. Le texte montre bien les conséquences de belles idées utopistes ayant fléchi sous le poids de la cupidité et de l’intérêt personnel. Tous les défauts d’une dictature qui refuse de se nommer sont passés au crible et portés à la scène de manière d’autant plus cruelle que le ministre est intègre et innocent. Ainsi, les deux pièces représentées ensemble se font échos avec un certain pessimisme: si ni la démocratie, ni la révolution ne permettent l’existence de systèmes politiques efficaces, que reste-t-il ? La gloire personnelle est-elle sans cesse vouée à détruire les idéaux ?
La démonstration est habilement menée, et l’on espère qu’une éventuelle mise en scène complète permettra d’effacer le côté un peu scolaire de l’œuvre, car le texte est intéressant et fait preuve d’un recul historique certain, qui pourrait captiver tant les passionnés que les novices du sujet.
Libertadores (version française Ana Rodriguez) et Trahisons (version française Christine Defoin) de Alan Riding
mise en espace Jean Claude Idée
Avec Xavier Simonin, Adrien Melin, Jacques Neefs, Jean – Jacques Cordival, Mathieu Alexandre, Yves Claessens, Yvan Varco et Anne Deleuze
Le 18 avril 2016
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris