Lichen est une pièce écrite par Magali Mougel parue aux Éditions Espaces 34 dans la collection Hors Cadre.
Le texte a reçu l’aide à la création d’Artcena 2020.
Quand les chêne auront recouvert les terrils, il ne restera plus de traces de cette partie de l’Histoire.
Voilà une pièce à la forme étrange : si vous cherchez la liste des personnages, les lieux de l’action, vous serez déçu. À première vue, on voit plutôt des blocs de textes, quelques phrases entre guillemets, des alinéas mettant en valeur certaines assertions (Pourtant, ça bouge. Ça s’agite.) Paru dans une autre collection, le volume pourrait passer pour un poème en prose. On a d’ailleurs du mal, au début, à comprendre qui parle et à qui, voire de quoi. C’est qu’on est là dans une écriture très contemporaine, au plus près de la conscience des protagonistes, de leurs pensées, de leur langage.
Petit à petit, à travers les conversations qui procèdent par bribes allusives, on entre dans cet univers douloureux, dans un ancien quartier minier quelque part dans le Nord ou le Pas-de-Calais, dans la maison délabrée occupée par un père et sa fille, ainsi que par des pigeons ; qui furent, on le sait la fierté et la passion des mineurs. Petit à petit, on comprend qu’il s’agit de rénovation, de mise en valeur, donc d’expulsion et donc encore de résistance.
On ne s’épanchera pas dans la nostalgie qui gomme les aspérités au profit de l’idéalisation. La description de la débâcle est réaliste : les pigeons, ça pue. Le Paradis, c’est de la mythologie. Il vaudrait mieux partir, mais on reste ; dans les courants d’air, sous la pluie qui s’infiltre du toit pourri, à manger des trucs impossibles… mais il faut bien travailler à l’école. Obsession des ouvriers. Surtout, mes enfants, quittez cet état de presque esclavage, travaillez bien à l’école. Et pendant ce temps-là, le lichen rouge prolifère aux jointures, celles des carreaux, celles des os.
La nuit est noire, très noire le plus souvent, car l’éclairage est incertain et la lune rare. Et l’on gèle sous la couverture mitée. Et l’univers est hostile. Quand vous êtes pauvre et faible, on est une proie facile pour les imbéciles cruels et lâches. La mère rêvait d’îles lointaines, de cocotiers et de ciels bleus. Le père, lui, est né là. Il a grandi là, il veut mourir là. Et l’incompréhension obstinée est partout, même au collège. Mais si dense que soit le noir, il peut toujours laisser entrer un rai, un espoir, comme disait Soulage : le noir lumière. Cependant, « Il t’aurait fallu savoir partir plus tôt. »
Intense comme une tragédie grecque, cette œuvre serre le cœur et harcèle l’intelligence du spectateur. Bienheureux inconfort !
La pièce Lichen mise en scène par Julien Kosellek se joue jusqu’au 31 mars 2024 au Théâtre de Belleville à Paris.
Informations pratiques
Auteur(s)
Magali Mougel
Prix
12 euros
Éditions Espaces 34 –
Collection Hors Cadre
www.editions-espaces34.fr