« L'Île aux vers de terre », création contemporaine de Cécile Fraysse, au Centre dramatique national Nanterre Amandiers

Article de Céline Coturel

Île de laine et désir d’ailleurs

Une masse volumineuse, tout en longueur, occupe la scène. Au commencement de la pièce, elle est recouverte d’une bâche transparente, laquelle se fait doucement happer en son centre, laissant découvrir un aspect rocheux et creux. Recouverte par une végétation dense, plane et épaisse, c’est là notre île, à l’âme vibrante. De la laine de couleur foncée, oscillant entre brun, kaki, beige et bleu foncé, la revête. On ne peut vraiment dire s’il s’agit de buissons, de lande ou d’algues, voire de poils de bête, mais cette indétermination, désirée par la metteure en scène Cécile Fraysse, crée un ensemble dense et organique, aux petites plages sauvages. Ce paysage miniature ne va pas sans habitants. Les vers de terre s’y donnent à cœur joie ; ils glissent parmi les lichens, sortent par un trou et rentrent par un autre. Leur taille est variable (le plus petit étant de celle d’une écharpe), leur caractère aussi. Ils peuvent être méfiants ou câlins, amis distants ou domestiqués pour le petit Nanouk, âgé d’à peine dix ans, qui vit ici avec sa grand-mère, une femme fantasque et aimante. Mais leur point commun, à tous ces vers, c’est qu’ils sont inoffensifs. Et surtout, qu’ils oxygènent la terre, la creusant de leur corps allongé et rampant. L’homme vit ici en harmonie avec la nature. Dans cet écosystème imaginaire, Cécile Fraysse questionne notre rapport au monde et ce que nous procure la fantasmagorie de l’environnement insulaire.

Pour une grand-mère qui a « tout » vécu, qui a voyagé et qui a choisi ce lieu pour retraite, l’Ile aux vers de terre est idéale. Pour un enfant aussi. Tout est permis sur l’île, le danger n’existe pas… seules ses questions et ses peurs le font avancer. Sa grand-mère lui apprend à aimer le brouillard, cheveux au vent, les poumons dilatés… Mais l’enfant grandit, il pose des questions sur ce qu’il ne connaît pas, sur ce qu’il y a par-delà les mers, et son regard se fixe sur l’horizon, rêveur. Plusieurs sens de lecture sont possibles. Dans notre recherche du bonheur, la question de l’ailleurs est souvent présente. Il semblerait que le bonheur, pour l’adulte, c’est ici, sur cette île, qui échappe à ce qu’on connaît. Tandis que pour l’enfant, qui a tout à découvrir, c’est au-delà de ces rochers, qu’il veut aller.

Deux marionnettistes évoluent parmi ce décor et se fondent parmi lui. Les deux femmes-orchestre sont en complète tenue de camouflage, portant la même laine que les roches. Si bien que tout en animant les marionnettes de Nanouk, de la grand-mère, de l’ermite et des vers de terre roses, elles prennent la forme d’un décor mouvant, ajoutant une nouvelle pousse par-ci, un nouveau rocher par-là. Cette ingénieuse inclusion, tant narrative que visuelle, participe à l’évolution magique de cette île. Sans oublier la drôle de scène de dialogue entre deux pieds, sortis chacun par un trou de la roche. Avec une dextérité impressionnante, les pieds prennent l’attitude de personnages, grâce à leur posture timide ou au contraire expansive. En somme, la gestuelle de Junie Monnier et d’Agnès Oudot est aussi agréable à regarder que la façon dont elles font se mouvoir leurs marionnettes. Des marionnettes aux visages fins, beaux et expressifs. Une vraie réussite plastique.

Malgré toutes ces qualités énumérées, on pourrait penser que la pièce manque d’action, que ses péripéties sont mal définies… car on en ressort un peu groggy, titillé par le sentiment de ne pas avoir été jusqu’au bout de cette expérience. L’œuvre dans son ensemble manque de rythme. Elle souffre, malgré son immense potentiel, de rester à la surface des sujets – pourtant explicites – qu’elle aborde. La raison vient peut-être du fait qu’on assiste à une contradiction visuelle et sonore. Bien que tout soit calculé au millimètre près – gestes des marionnettistes, suivi de l’histoire et entrée des passage musicaux – l’enregistrement des voix fait en amont et projeté en bande sonore, ne colle pas aux images, si vivantes et spontanées. De même, les passages joués à la guitare électrique et chantés au micro saturent l’écoutent, et l’imaginaire se referme dans une sensation de répétition entre les paroles et ce qui est donné à voir. Car nommer ne sert à rien quand tout est dit par le décor. Et malheureusement, pendant que les chansons à textes se fredonnent, l’action se paralyse. Nous garderons tout de même en tête le meilleur : cette œuvre nous (ré)apprend, aux jeunes comme aux moins jeunes, le cycle des saisons, l’importance d’être en paix avec la nature et avec les animaux qui l’environne. Elle nous dit aussi de nous sentir vivant, grâce à un rien. Enfin que le bonheur se trouve dans le contentement.

L’Île aux vers de terre

création de Cécile Fraysse, Compagnie AMK

Conception et mise en scène Cécile Fraysse / Compagnie AMK

Avec Junie Monnier, Agnès Oudot

Musique Boris Kohlmayer

Création lumières Fred Moreau

Créateur son Madame Miniature

Du 5 au 13 novembre 2016

Centre dramatique national Nanterre Amandiers

7 Avenue Pablo Picasso

92000 Nanterre

http://www.nanterre-amandiers.com/