« L’INSTITUT BENJAMENTA » Une soumission subversive

« Nous apprenons très peu ici, on manque de personnel enseignant, et nous autres, garçons de l’Institut Benjamenta, nous n’arriverons à rien, c’est-à-dire que nous serons plus tard des gens très humbles et subalternes. » Ce sont les premiers mots de pensionnaires que Jacob von Gunten entend à son arrivée dans cette école particulière où l’on forme les domestiques à une obéissance totale. Ce jeune homme, fils d’aristocrate a décidé de couper les ponts avec sa famille pour se faire sa propre expérience de la vie. Quitter un milieu social aisé où tout lui est donné pour tomber dans l’anonymat le plus complet et se construire avec ses propres qualités, cela est bien inhabituel. Il ne craint pas de recommencer, il n’a rien à perdre ni à gagner, car il ne possède rien. La singularité réside dans l’enseignement transmis par les deux seuls maîtres du lieu, le directeur autoritaire et colérique et sa sœur Lise Benjamenta solitaire et douce. L’apprentissage, toujours le même, se répète indéfiniment jusqu’à l’aliénation : Obéir, s’effacer, se soumettre, exécuter, se taire, servir – Ordonner, dominer, inculquer, se faire servir. Ce rapport maître-esclave poussé à l’extrême rappelle celui du manipulateur et de sa marionnette, qui ne prend vie que lorsque celui-ci se met à son service. Dans cette micro-société, le nouveau venu va être chahuté par ses camarades car il enfreint le règlement, adopte un comportement subversif et semble toujours prêt à se révolter. Il est à l’opposé de Kraus, le serviteur modèle qui sait faire la révérence, répond immédiatement aux moindres exigences comme un vrai automate. Sans le vouloir, Jacob déstabilise l’autorité car le plaisir qu’il éprouve à devenir un « beau zéro tout rond » se transforme en transgression; les valeurs séculaires enseignées deviennent obsolètes et mettent à mal l’Institut Benjamenta annonçant sa fin inéluctable.

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© Ivan Boccara

Dans cette adaptation du roman de l’écrivain helvète Robert Walser, Bérangère Vantusso choisit de mettre en scène des marionnettes hyperréalistes de taille humaine aux côtés des acteurs, offrant des possibilités de jeu très étonnantes. En 2006, la marionnettiste débute un travail avec ce type de marionnettes contemporaines et a souhaité exprimer à travers cette création un « réalisme fantastique ». Point de fil, ni de gaine, les figurines-bustes en chemises blanches et vestons sont manipulées à vue en accentuant leur humanité par l’usage parfois des corps de leurs manipulateurs. Des interactions acteurs/marionnettes très intéressantes, une dynamique renouvelée où le jeu s’équilibre sur le plateau entre tous les protagonistes (14 pantins et 7 comédiens) qui se mettent au service de l’action et de l’histoire. Les pensionnaires ont leur double montrant ainsi cette duplicité des personnages pouvant s’élever (sorties de cartons remarquables) ou se fondre dans la masse du serviteur modèle. Tout est réglé dans les moindres détails avec une scénographie imposante où le mystérieux et le fantastique sont très présents dans cette œuvre dont on apprécie l’esthétique et l’onirisme. Quelques moments de flottements et si tout ceci n’était qu’un songe. Une impressionnante démonstration de l’art de la manipulation avec un passage en revue du directeur digne de celui à la Reine d’Angleterre. La marionnette contemporaine ouvre le champ des possibles et témoigne de sa grande capacité à nous émouvoir et à nous faire rêver.

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© Ivan Boccara

L’Institut Benjamenta a été créé en 2016 à Avignon et donne sa dernière représentation à La Scène Watteau de Nogent-sur-Marne. Ne reverrons-nous plus ces charmants pantins ? C’est émouvant de les voir retourner dans leurs cartons. Que deviennent-ils après les spectacles ? Nostalgiques des figures célèbres du petit écran, passionnés ou curieux de cet art, découvrez les créations des plus grands marionnettistes contemporains : Alain Duverne, créateur d’un grand nombre de marionnettes des Guignols de l’info avec Monique Scheigam ; Yves Brunier et son célèbre Casimir, l’éternel ami des enfants et bien d’autres à l’exposition « La vie secrète des marionnettes » dans le Parc Floral d’Apremont-sur-Allier (18) au cœur du Berry jusqu’au 30 septembre 2019.
Et pour découvrir d’autres facettes du travail de Bérangère Vantusso, rendez-vous à la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette (BIAM). L’artiste y présentera sa nouvelle création Longueur d’Onde, histoire d’une radio libre les 21 et 22 mai au Théâtre Berthelot de Montreuil. De nombreuses créations pour explorer l’étendue de cet art, un programme assez riche à voir lors de la BIAM du 3 au 29 mai à Paris et en Île-de-France.

Informations pratiques

Auteur(s)
Robert Walser
Adaptation Bérangère Vantusso et Pierre-Yves Chapalain

Mise en scène
Bérangère Vantusso

Avec
Boris Alestchenkoff, Pierre-Yves Chapalain, Anne Dupagne, Guillaume Gilliet, Christophe Hanon, Philippe Richard, Philippe Rodriguez-Jorda

Collaboration artistique et scénographie Marguerite Bordat
Musique Arnaud Paquotte
Lumières Jean-Yves Courcoux
Marionnettes Marguerite Bordat, Einat Landais, Nathalie Régior, Carole Allemand, Cerise Guyon, Michel Ozeray
Perruques des marionnettes Nathalie Régior, Deborah Boucher
Costumes Sara Bartesaghi-Gallo
Collaboratrice / Mouvements Stéfany Ganachaud
Régie plateau et régie générale Philippe Hariga
Régie son Vincent Petruzzellis

Dates
18 avril 2019

Durée
1h45

Adresse
La Scène Watteau
Place du Théâtre
94130 Nogent-sur-Marne

Informations complémentaires
La Scène Watteau Facebook

Compagnie Trois Six Trente
www.troissixtrente.com