Article de Sébastien Scherr
L’homme vit de l’homme
La mise en scène de Joan Mompart embarque le public dans une épopée musicale poétique et réaliste, avec le concours d’un orchestre hors pair et d’une équipe de huit excellents comédiens-chanteurs. Tout y est théâtre et tout y est vrai. La scénographie déjà, signée Christian Taraborrelli, avec ce plateau tournant où l’orchestre est niché en hauteur, est très astucieuse, originale et efficace. À chaque quart de tour du manège, un nouveau décor apparaît : la maison de Peachum, le bordel, la prison, la ville. Tout est suggéré par les formes, la lumière, rien n’est démonstratif et la place est laissée entière à l’imagination du spectateur.
© Carole Paradi
Peachum, le chef des mendiants rivalise avec Mackie, le chef des voleurs. Autour de ces deux clans gravitent tout ce que les bas-fonds de la ville peuvent réunir : les putains et une police corrompue. Mackie enlève la fille de Peachum et l’épouse dans des noces expéditives. S’ensuit une intrigue mouvementée où chacun cherche à dominer ou à sauver la face. Nul n’est ragoutant dans ce tableau glauque de la pègre de la pire espèce, et pourtant chacun est humain, trop humain. Ils ont tous leurs rêves, leurs ambitions, leur envie d’ailleurs, de meilleur. L’amour est là, partout : aussi loin qu’on le repousse, il repousse. Et la poésie transparaît à tout moment avec le chant. L’homme est un loup pour l’homme, et chacun se nourrit des autres. Le lien social est donc permanent, comme le legato du chant qui fait de tous ces êtres des petits instruments du grand orchestre de la vie.
L’interprétation est merveilleuse, tant pour le chant que pour le jeu. Les quatre comédiens et les quatre comédiennes parviennent sans effort apparent à camper une trentaine de personnages, évoluant dans un décor épuré dessiné pour eux. Leur jeu est simple et brut, vrai et touchant, toujours juste et percutant. Une mention pour Thierry Romanens, avec sa voix à la Eddy Mitchell et sa présence naturelle, ainsi que pour Charlotte Filou avec sa gouaille et sa voix étonnante, tantôt cassée, tantôt claire.
© Carole Paradi
Joan Mompart a su rendre la fameuse distanciation brechtienne par un entremêlement naturel entre la machinerie et l’imaginaire, entre la technique et le jeu, entre le réalisme des scènes et le lyrisme du chant. Le texte est parfaitement entendu, grâce à un jeu incarné et une mise en place parfaitement huilée. Le rythme est là. Tant dans les silences que dans les élans verbaux. L’orchestre est parfaitement intégré à l’ensemble. Les huit rappels aux saluts de la première sont le signe d’un spectacle très réussi, qui touche autant les jeunes que les anciens. À voir et entendre absolument.
L’Opéra de quat’ sous
Mise en scène Joan Mompart
De Bertolt Brecht
Traduction Jean-Claude Hémery, basé sur la traduction par Elisabeth Hauptmann de L’Opéra des gueux de John Gay
Musique Kurt Weill
Direction musicale Christophe Sturzenegger
Avec Carine Barbey, Charlotte Filou, Brigitte Rosset, Jean-Philippe Meyer, François Nadin, Lucie Rausis, Thierry Romanens, Philippe Tlokinski
Constitution de l’orchestre Yves Rousseau
Orchestre Olivier Bernard, Denis Desbrières, Guillaume Dutrieux, Nicolas Fehrenbach, Sylvia Kohler, Pierrick Hardy, Charles Kieny,Jean-Louis Pommier, Julien Rousseau, Yves Rousseau, Pierre6François Roussillon
Collaboration artistique Hinde Kaddour
Scénographie Christian Taraborrelli, assisté de Roberta, Monopoli
Univers sonore Jean Keraudren
Lumière Laurent Junod
Costumes Amandine Rutschmann et Irène Schlatter
Coiffure Katrin Zingg
Accessoiriste Valérie Margot
Du 31 mars au 14 avril 2016
Théâtre 71
3, place du 11 novembre
92240 Malakoff