« L’Opéra de quat’sous » de Bertolt Brecht et Kurt Weill, mise en scène de Robert Wilson, au théâtre des Champs-Élysées

Article de Justine Uro

L’opéra dont les bandits sont les héros

Assister à une représentation de L’Opéra de quat’sous mis en scène par Robert Wilson et interprété par le Berliner Ensemble est un événement à part entière. Avant même que le spectacle ne commence, la sensation de privilège de faire partie du public prédispose au moment qui va suivre. Quand ce moment arrive, le choc esthétique opère. Les personnages, fardés de blanc et vêtus de noir, semblent sortis d’une boîte à musique dans leur façon de mouvoir leur corps et de s’exprimer. Venus d’un autre temps, d’un autre espace, ils nous emmènent dans un univers à la fois lointain et proche par des références au cinéma muet et à l’atmosphère des cabarets de la première partie du XXe siècle.

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© Barbara Braun

Ils nous racontent l’histoire de Mackie Messer, chef de gang à Londres, ennemi de monsieur Peachum. Entrepreneur dans le marché de la mendicité, monsieur Peachum délivre des licences de mendiants valables sur des districts définis, ainsi que des équipements pensés pour apitoyer davantage le passant. Mackie Messer se marie avec Polly Peachum, la fille de monsieur Peachum. Pour rompre ce mariage et évincer un concurrent dans les affaires, monsieur Peachum décide de poursuivre Mackie jusqu’à l’échafaud. Mackie Messer, élégant, fluet et à la féminité manifeste, ne ressemble en rien à l’image collective des délinquants violents et vulgaires ni aux parrains des films de gangsters. Il attire la sympathie des prostituées, des filles de bonne famille et même de Tiger Brown, chef de la police. Face à lui, le gros monsieur Peachum, figure de la bourgeoisie, paraît balourd.

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© Barbara Braun

Tout au long du spectacle, des touches de rouge apparaissent sur des personnages mais c’est surtout le jeu des lumières qui colorise la scène de vert et bleu. Très éloignés de la couleur de la lumière naturelle, ces coloris participent à la création d’un espace onirique. En plus de la projection des lumières qui pare l’aire de jeu, la scène est habillée de montants mobiles faits de néons verticaux ou horizontaux, de quelques bancs, et d’un dispositif lumineux en fond de scène formant un triangle. Les comédiens font le reste. Ils nous font voir, par une impressionnante maîtrise de l’espace, le magasin des Peachum, l’écurie, la maison close, la prison. La présence physique de l’orchestre donne de la puissance aux passages musicaux et participe à la création de l’espace en tant que bande-son parfaitement régulée sur les actions des comédiens.

Cette atmosphère de fabuleux, d’onirisme, ne fait pas oublier le prosaïsme des thèmes abordés. C’est l’opéra des pauvres qui se joue sous nos yeux et ce sont les travers des hommes qui y sont révélés. Dans la perpétuation de l’idée du théâtre épique selon Bertolt Brecht, le mariage du prosaïsme et du merveilleux réussit superbement. À la sortie du théâtre, des mendiants, des vrais, sollicitent la compassion. La réalité ne succède pas au spectacle, elle lui répond. Il l’a fait apparaître plus fort encore, le théâtre a opéré.

 

 

L’Opéra de quat’ sous

Mise en scène, décors, lumières Robert Wilson
Direction musicale Hans-Jörn Brandenburg et Stefan Rager
Collaboration à la mise en scène Ann-Christin Rommen
Costumes Jacques Reynaud
Dramaturgie Jutta Ferbers et Anika Bárdos
Lumières Andreas Fuchs et Ulrich Eh

Avec Jürgen Holtz, Traute Hoess, Johanna Griebel, Christopher Nell, Axel Werner, Friederike Nölting, Angela Winkler, Georgios Tsivanoglou, Luca Schaub / Ulrich Brandhoff, Martin Schneider, Boris Jacoby, Winfried Peter Goos, Raphael Dwinger / Dejan Bucin, Jörg Thieme
Uli Pleßmann, Michael Kinkel, Anke Engelsmann, Ursula Höpfner-Tabori, Marina Senckel, Claudia Burckhardt, Gabriele Völsch, Gerd Kunath, Walter Schmidinger
L’Orchestre de l’Opéra de quat’sous (Das Dreigroschenoper Orchester)

 

Du 25 au 31 octobre 2016

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

http://www.theatrechampselysees.fr/