Article de Léa Carabu
Ton âme tu disséqueras !
Une plongée sans retour qui capture et emmène dans les tréfonds nébuleux d’un quotidien douloureux, celui d’une mère, Daria et de sa fille, Federica. À la lumière d’un grand frigo, elles mangent, discutent, se disputent, s’habillent et s’interrogent sur le sens de la vie. Différents personnages se fraient un chemin entre la mère et la fille, il y a la figure du psychanalyste et celle de la mère de Daria. Les objets apparaissent comme des entités à part entiers, l’extension cérébrale d’un cerveau humain en constante ébullition. Percutés par le magnifique texte de Lucia Calamaro, on découvre le portrait de ces trois femmes, ces trois générations, qui ne forment peut-être qu’un seul et même être à différentes étapes de sa vie.
© Alessandro Carpentierei / Claire Pasquier
La sublime scène du Théâtre de la Colline et une pièce de Lucia Calamaro en trois parties, « Femme mélancolique au frigo », « Certains dimanches en pyjama » et « Le silence de l’analyste ». Dramaturge, metteuse en scène et comédienne née à Rome, Lucia Calamaro signe ici une pièce sans compromis ni artifice. Ses mots sont bruts, d’une vérité tranchante, ils dessinent sans pitié le quotidien acerbe de Daria et Federica. La mère et la fille semblent coincées dans un schéma d’autodestruction qu’elles-même alimentent avec fatalité et un certain plaisir. Les rapports mères-filles sont disséqués, analysant la femme-enfant, la femme-vieille, la femme-mère, la femme-sexuelle, dans une quête de la maïeutique parfaite ; un savoir caché en soi qui pourrait apaiser les interrogations perpétuelles. On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer, impossible de trancher tant les dialogues s’enchaînent et c’est tant mieux. Le rythme effréné des comédiennes nous submerge dans un univers de tragicommedia à l’italienne où la passion a la primauté. Récompensées en 2012 par le prix UBU de la meilleure comédienne dans un premier rôle pour Daria Deflorian et le prix de la meilleure comédienne dans un second rôle pour Federica Santoro, les deux artistes offrent là une performance exaltante, hypnotisante, admirable de sincérité et de vérité.
© Alessandro Carpentierei / Claire Pasquier
Le rapport explicite, du titre, au tableau de Courbet, fait de L’Origine del mondo une oeuvre résolument féminine, délicate et puissante qui traite de l’angoisse existentielle. Regret, frustration, nostalgie, espoir, remords, colère, intolérance, en proie à des émotions contradictoires, les héroïnes de Lucia Calamaro se dressent avec combativité face au spectre de la dépression. Une sorte de maladie de l’âme qui rôde autour des êtres en quête de sens pour l’existence, où l’enfer c’est bien évidemment les autres.
Les trois tableaux de l’auteur révèlent son gout pour la peinture et les « natures mortes », où la contemplation laisse une voie propice vers l’introspection. Ainsi Daria se compare elle-même aux bouteilles des tableaux de Morandi. L’absence de mouvement de la nature morte permet ainsi à l’auteur cette dissection minutieuse du tableau mère-fille.
La pièce n’aura fait qu’un passage éclair au Théâtre de La Colline, ce qui est regrettable, mais l’auteur prépare actuellement son prochain spectacle, La Vie immobile, qui verra le jour en 2016 au Sardegna Teatro de Caligliari.
L’Origine del mondo
Texte et mise en scène, Lucia Calamaro
Avec Daria Deflorian, Federica Santoro, Daniela Piperno
Traduction de l’italien, Federica Martucci
Du 20 au 24 octobre 2015
Théâtre de La Colline
15 rue Malte Brun 75020 Paris
http://www.colline.fr