« LYSISTRATA, MON AMOUR » : Une réécriture forcée

Le dramaturge d’origine roumaine Matéi Visniec, traduit et joué dans de nombreux pays, revient avec une nouvelle pièce traitant de questions très contemporaines. Il choisit de réécrire un mythe antique, celui de Lysistrata – héroïne d’Aristophane – pour mettre en mots et en scène les contradictions humaines, puisque, comme le redit le Coryphée : « Aristophane n’est pas seulement le père de la comédie, mais aussi celui de la controverse ».

Lysistrata d’Aristophane est une comédie pétillante sur la guerre du Péloponnèse qui a traversé les siècles avec un succès jamais démenti. Il y a plus de deux millénaires, cette courageuse Athénienne proposait aux femmes de Grèce de faire la grève du sexe pour obliger les hommes à ne plus s’entretuer. Lysistrata, mon amour projette cet épisode antique dans le tumulte des guerres contemporaines, mais aussi dans le contexte d’incitations multiples à la violence entre les sexes et entre les peuples.

Le mélange entre la tragédie antique et l’époque contemporaine est constant et présent dans de nombreux aspects de la pièce. En effet, le dramaturge prête un langage très quotidien voire parfois familier à ses personnages qui date d’avant Jésus-Christ. Il emploie des codes et statuts typiques du théâtre gréco-romain – le chœur, le coryphée, l’adresse au public pour expliquer ce qui se passe sur scène – mais il en joue et les détourne (le chœur ne sait pas comment se placer, le coryphée qui s’exprime de manière parfois vulgaire, …). La passerelle qu’il crée permet d’insuffler à la trame d’origine des revendications propres aux sociétés actuelles : violences faites aux femmes, égalité des sexes, question de genres, …

La pièce est également jonchée de rebondissements et détournements comiques, moqueurs et presque caricaturaux, qui font alors du texte une réflexion sur le théâtre lui-même – le Coryphée rappelle très souvent aux spectateurices qu’ils ne sont que des comédien.nes. L’humour est la marque de fabrique de Matéi Visniec, il l’emploie dès que possible, notamment dans les didascalies qui indiquent un spectacle très visuel, corporel, non verbal – l’indication du Coryphée « Les filles à droite, les garçons à gauche » entraîne tout un jeu de déplacements.

C’est entre autre à travers ces didascalies que résident peut-être la faille de cette pièce : tout est très démonstratif. Dans sa préface, Béatrice Picon-Vallin parle d’un « scénario porté par les didascalies de l’auteur, qui suggère sans imposer ». Pourtant, les précisions, suggestions, consignes de jeu et de déplacements semblent être difficilement malléables à volonté, et laissent peu voire pas de place à l’interprétation libre des lecteurices – et spectateurices, puisqu’il va même jusqu’à supposer quand celleux-ci pourraient rire. L’imagination et la réflexion des lecteurices sont freinées par un texte qui semble déjà dire tout ce qui doit être vu et compris. S’ajoute à cela un mélange de genres et d’époques qui nous perd petit à petit, tant les liens et les interprétations sont forcées, ne laissant ainsi pas l’occasion au mythe de se recréer. Malgré l’humour et les thématiques abordées, il en résulte une œuvre très bavarde qui se laisse déborder par ses règles de départ.

Informations pratiques

Auteur(s)
Matéi Visniec

Prix
13 euros

Éditions L’Espace d’un instant
parlatges.org