« M COMME MÉLIÈS »  Un atterrissage fracassant pour ce « premier explorateur de la Lune » 

Georges Méliès est à l’honneur, dans le spectacle M comme Méliès d’Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo, sur l’imposant plateau du Palais de Chaillot, où la danse s’éclipse pour laisser place au théâtre. Méliès rêve, et plonge dans le récit enchâssé de sa vie, entraînant le spectateur dans ses créations et projets les plus farfelus. Nulle frustration pour le fin connaisseur, les allusions à sa kyrielle de courts et longs-métrage fusent, de L’Homme-Orchestre au Mélomane jusqu’au Voyage sur la lune qui sert de trame de fond au spectacle. Les metteurs en scène ont misé sur un aspect pédagogique, choisissant de retracer l’existence extraordinaire du personnage jusqu’à sa ruine en s’appuyant sur ses entretiens et écrits. Muni d’un télescope en direction du public, le personnage de l’illusionniste projette sa vision dans la nuit étoilée, réanimant les personnages phares de son œuvre, qui, une fois apparus à l’écran, se téléportent sur le plateau. Tel un astronaute, Méliès voyage dans les kilomètres de pellicule de sa filmographie.

Quoi de plus évident pour célébrer l’artisan qu’était Méliès que de mettre en scène l’art en train de se fabriquer, avec une construction des décors à vue d’œil et des comédiens qui semblent répéter sur un plateau de tournage. Les nombreux effets spéciaux de cet inventeur sont rendus grâce aux superpositions ingénieuses de rideaux de tulle, offrant aux acteurs un aspect fantomatique. Les comédiens nagent également dans le vide, par le biais de suspensions ou de leurs reflets dans un miroir incliné, non sans faire un clin d’œil aux mises en scène de Robert Lepage. Une indéniable magie foraine émane de ces lévitations, disparitions et dédoublements de comédiens masqués, nous projetant dans l’orbite de ce prestidigitateur hors pair. Les décors et l’atmosphère sonore de ses œuvres, recréés par la virtuosité des scénographes et du pianiste, expédient le public dans l’imaginaire d’un cabaret du début de siècle dernier. C’est une véritable séance de cinéma en quatre dimensions qui se profile sous nos yeux. La vidéo possède une matérialité telle qu’elle architecture l’espace et dialogue avec le jeu et les déplacements des comédiens.

Frein à toute immersion dans l’univers enchanteur du réalisateur, la voix-off monocorde et impersonnelle – loin d’accompagner le spectateur dans l’apesanteur des rêveries de Méliès – renforce un ancrage dans une réalité documentaire et prosaïque. Pour une pièce sur une figure emblématique du cinéma muet, la parole semble ici superflue et inappropriée. Par ailleurs, si le spectacle se voulait burlesque, le public doit plutôt subir l’épreuve de tentatives obstinées de plaisanteries douteuses, parmi lesquelles des doublages trafiqués, des personnages qui se volatilisent pour donner à voir les comédiens pianoter sur leurs I-pad… L’humour n’est vraisemblablement pas le fort de tout un chacun, et, le cas échéant, mieux vaut s’abstenir de s’y essayer. De plus, malgré l’ambition ludique de la pièce – qui, de plus, est principalement adressée à un jeune public – nombreuses sont les informations techniques qui échappent à la compréhension du spectateur profane en matière de cinéma. La marionnette, quant à elle, est à peine exploitée, et semble n’être présente que pour une démonstration de savoir-faire ou une exaltation d’une pluridisciplinarité superficielle. La colonne vertébrale de la représentation reste incontestablement les costumes de Pierre Canitrot : ailes de papillon, squelettes phosphorescents, robes perlées et à frange de cabaret, coiffes de palourdes ou auréoles de rayons de soleil… Le faste des costumes émerveille et surgit comme un renfort au spectateur ennuyé qui peut s’attarder à loisir dans leur contemplation.

Au contact du réel, les créatures de ce Pygmalion du septième art perdent toute leur féerie : nul ne suffit de leur donner un corps pour leur insuffler la vie. Si la dimension théâtrale fait partie prenante du cinéma de Méliès, sa transposition contemporaine, documentaire et scénique le dessert plus qu’elle ne lui rend hommage.

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©Tristan Jeanne-Valès

Informations pratiques

Auteur(s)
À partir de films et écrits de Georges Méliès

Mise en scène
Élise Vigier, Marcial Di Fonzo Bo

Avec
Arthur Amard, Lou Chrétien-Février, Alicia Devidal, Simon Terrenoire, Elsa Verdon (comédiens), Étienne Bonhomme, Louison Teruel (voix)

Dates
Du 22 au 29 mars 2018

Durée
1h20

Adresse
Théâtre Nation de Chaillot
1 place du Trocadéro
75116 Paris

Informations et dates de tournée
http://theatre-chaillot.fr