« MADAME FAVART » Une femme de théâtre maître de son destin

Madame Favart (Marion Lebègue), chœur de l’Opéra de Limoges
© DR Stefan Brion

Ce 20 juin 2019 à l’Opéra-Comique, les spectateurs assistent à la première de Madame Favart de Jacques Offenbach, 200 ans après sa naissance. Le grand compositeur et violoncelliste français d’origine allemande a écrit plus de 650 œuvres dont de célèbres opérettes : Orphée aux Enfers, Barbe-bleue, Les contes d’Hoffmann, La belle Hélène. En 1878, il rend hommage au théâtre avec cet opéra-comique en trois actes, une commande des Folies-Dramatiques, où les personnages réels, Justine et Charles-Simon Favart, plongés dans une intrigue à peine romancée et un complot imaginaire, se mêlent à l’Histoire. Amours contrariés, situations loufoques, quiproquos, cette comédie savoureuse met en jeu une kyrielle de protagonistes de l’auberge d’Arras au camp militaire de Fontenoy où le roi Louis XV vient assister au spectacle des Favart. La pièce lyrique mise en scène par Anne Kessler, sociétaire de la Comédie Française dénonce les contraintes, le poids social, l’abus de pouvoir et montre en contrepoint ce qu’est la vie d’artiste. Tenant de la comédie par le langage et de l’opéra par le chant, Marion Lebègue et les artistes de la Nouvelle Troupe Favart incarnent des individus attachants et haut en couleurs dans la mythique salle Favart. Les librettistes Alfred Duru et Henri Chivot donnent une idée de l’atmosphère et des situations de l’époque en accordant une place importante aux dialogues. Pas moins de 23 morceaux joués par l’Orchestre de Chambre de Paris, dirigé brillamment par Laurent Campellone.

Le vieux maître Offenbach revient à un orchestre plus restreint dans cette œuvre et utilise sa recette du succès par une critique légère et gaie des mœurs à la mode. Cette pièce méconnue a rencontré des décennies de popularité en France. En effet au 19ème siècle, la bourgeoisie et la noblesse se divertissaient en allant voir des pièces de boulevard. Tout le monde connaissait l’histoire de l’immense actrice Justine et de son époux Charles-Simon Favart, auteur de pièces à succès qui dirigea l’Opéra-Comique. Il fut au service du Maréchal de Saxe et le suivit aux armées avec une troupe de comédiens ambulants. Ce dernier jeta son dévolu sur la belle Justine mais voilà la jeune femme est fidèle. Afin d’en faire sa maîtresse, l’homme cherche par tous les moyens à séparer le couple accusant Charles-Simon de traîtrise. Les Favart sont contraints de vivre cachés et éloignés l’un de l’autre puisque le Maréchal de Saxe enferme Justine au couvent des Ursulines pour mieux l’épier et son mari s’enfuit pour ne pas finir en prison. Déterminés, ils entreprennent une cavale amoureuse entre la France et les Pays-Bas usant d’artifices, de ruses et de tous leurs talents pour sauver leur couple. Commence alors un chassé-croisé avec le gouverneur de l’Artois, le Marquis de Pontsablé lancé à la recherche de Justine par le Maréchal de Saxe (nommé mais jamais présent).

4 Madame Favart DR S. Brion
3 Madame Favart DR S. Brion
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1/ de gauche à droite : Hector de Boispréau (François Rougier), Suzanne (Anne-Catherine Gillet), Biscotin (Lionel Peintre), Major Cotignac (Franck Leguérinel), chœur de l’Opéra de Limoges
2/ Hector de Boispréau (François Rougier), Charles-Simon Favart (Christian Helmer), Suzanne (Anne-Catherine Gillet)
3/ Madame Favart (Marion Lebègue)
4/ Charles-Simon Favart (Christian Helmer), Biscotin (Lionel Peintre)
© DR Stefan Brion

L’Opéra-Comique a confié tout naturellement la mise en scène de Madame Favart à une femme, Anne Kessler pour rendre hommage à Justine Favart, autrice, costumière, danseuse et actrice. Pour ce premier spectacle lyrique, la metteuse en scène a choisi de conserver l’intégralité des textes et dirige avec brio ses acteurs en accordant un soin particulier aux personnages et au jeu théâtral. L’intrigue va naître de l’appétence des costumes dans l’atelier de confection qui font glisser les protagonistes dans des jeux de rôles jouissifs. À 22 ans, Justine Favart apparaît comme une femme forte prête à risquer sa vie par amour, un rôle écrasant interprété avec entrain par la mezzo-soprano Marion Lebègue tour à tour vielleuse, chanteuse, servante, comtesse,… À ses côtés, le baryton Christian Helmer est un Charles-Simon toujours de bonne humeur et s’exprimant avec légèreté. Au troisième acte, le dramaturge loin de sa muse est porté par la mélancolique, ce qui le rend d’autant plus touchant. Suzanne sous les traits de Anne-Catherine Gillot, fille du major Cotignac est le deuxième rôle féminin. Respectueuse des conventions, elle veut pourtant épouser le greffier Hector de Boispréau contre l’avis de son père. La soprano interprète quatre airs et sa prestation est d’une grande justesse. Elle forme un duo attendrissant avec François Rougier dans le rôle du prétendant. Hector brigue le poste de lieutenant de police pour obtenir sa main. Il pourra compter sur le soutien de son amie d’enfance Justine qui a plus d’un tour dans son sac. Le ténor Éric Huchet est remarquable en Marquis de Pontsablé. Faisant la cour à Justine convaincu d’avoir affaire à la femme d’Hector et trompé maintes fois par la comédienne déguisée, le public appréciera la maîtrise du jeu de ces deux comédiens qui nous livrent des moments agréables avec une scène hilarante de la fausse comtesse et son toutou, prête à démasquer la fuyarde.

La scénographie ingénieuse est composée du décor imposant de l’atelier de confection sur plusieurs niveaux. Avec quelques accessoires et les costumes des personnages inspirés de l’époque, le public est transporté dans les différents lieux de cette aventure. De très beaux tableaux à découvrir dans cette mise en abyme du spectacle. Duos, trios, quatuors, refrains gaillards et de grands ensembles seront interprétés par la Nouvelle Troupe Favart accompagnée par le Chœur de l’Opéra de Limoges. Les effets de surprise seront au rendez-vous avec notamment une tyrolienne qui met en joie. Hormis quelques moments de pure magie, la prestation musicale semble un peu faible par rapport à ce qu’on pourrait attendre. Il n’est pas aisé de jouer sur plusieurs plans (théâtral et lyrique) mais cette comédie dramatique a la recette du succès tout comme son héroïne qui triomphe sur scène. Le roi la gratifiera en nommant Charles-Simon Favart à la tête de l’Opéra-Comique et en révoquant Pontsablé. Ni ange, ni démon, Justine Favart est résolument une femme moderne et une grande artiste.

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1/ Madame Favart (Marion Lebègue), Charles-Simon Favart (Christian Helmer), Hector de Boispréau (François Rougier), enfant (Colin Renoir-Buisson)
2/ Madame Favart (Marion Lebègue), Marquis de Pontsablé (Eric Huchet)
3/ 4/ Madame Favart (Marion Lebègue), Charles-Simon Favart (Christian Helmer)
© DR Stefan Brion

Informations pratiques

Auteur(s)
Jacques Offenbach sur un livret d’Alfred Duru et Henri Chivo

Mise en scène
Anne Kessler, sociétaire de la Comédie Française
Direction musicale
Laurent Campellone

Avec
Marion Lebègue, Christian Helmer, Anne-Catherine Gillet, François Rougier, Franck Leguérinel, Éric Huchet, Lionel Peintre, Raphaël Brémard

Dramaturgie Guy Zilberstein
Scénographie Andrew D. Edwards
Costumes Bernadette Villard
Chorégraphie Glyslein Lefever
Lumières Arnaud Jung
Cheffe de chant Marine Thoreau La Salle
Assistante musicale Béatrice Berrut
Assistant chorégraphie Mikaël Fau
Assistante mise en scène Jeanne Pansard-Besson
Assistante costumes Alice Cambournac

Chœur Chœur de l’Opéra de Limoges – Direction, Edward Ananian-Cooper (et la collaboration de Stéphane Trébuchet)
Orchestre Orchestre de Chambre de Paris

Dates
Du 20 au 30 juin 2019

Durée
2h30

Adresse
Opéra-Comique
1, Place Boieldieu
75002 Paris

Informations complémentaires
www.opera-comique.com