« Une Maison de Poupée » de Henrik Ibsen, adaptation et mise en scène Philippe Person, Théâtre Lucernaire

Article de Julie Lossec

Qui est la Poupée ?

Nora est une jolie jeune femme, mère de trois enfants, épouse de Torvald Helmer qui l’infantilise depuis le début de leur mariage. En apparence frivole, elle cache un lourd secret. Il y a plusieurs années, Torvald est tombé gravement malade et Nora l’a emmené en Italie afin de le sauver. Mais, pour financer ce voyage, elle a emprunté de l’argent à un avoué, Krogstad, à l’insu de son mari qui s’y serait opposé.

Depuis, Torvald a été nommé directeur de la banque dans laquelle Krogstad est lui-même employé. Alors que le couple se réjouit de sa nouvelle situation autour du sapin de Noël, Krogstad vient jouer les trouble-fêtes en menaçant Nora de révéler à son mari dans une lettre l’existence de l’emprunt. Pour éviter cela, elle doit le dissuader de le licencier. Durant trois jours, Nora, sous la pression du maître chanteur, va se démener pour conserver son secret et préserver son mariage. Sans le savoir, elle s’achemine vers une prise de conscience existentielle au doux parfum de liberté.

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© Pierre François

Pour adapter et mettre en scène cette pièce incontournable d’Ibsen, Philippe Person s’est inspiré des films d’Hitchcock. La musique, la présence soudaine des personnages derrière la baie vitrée au fond de la scène, les bruits amplifiés, les multiples jeux de lumière, plongent le spectateur dans un thriller psychologique dans lequel Nora joue le rôle central. Dès sa première apparition sur scène, éclairée par un faisceau de lumière, caressée par les flocons de neige, la solitude et la détresse de la jeune femme sont palpables tandis qu’elle lit, face au public, le contrat qui va faire basculer sa vie. Par la suite, la tension installée reste omniprésente jusqu’au dénouement. L’intrigue est volontairement resserrée autour de quatre personnages : Torvald, Krogstad, Nora et sa confidente, Mme Linde. Ainsi, l’histoire est ciselée afin que le suspense monte invariablement. Seule la scène de dénouement entre Nora et Torvald perd en rythme à cause de la densité du texte et la faible possibilité de déplacements. De plus, la musique accentuant le côté pathétique des derniers instants du couple souligne inutilement l’interprétation déjà très juste des comédiens.

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© Pierre François

Le décor de ce huis clos est simple et efficace. Une table et deux chaises en bois, un sapin de Noël représentent l’intérieur chaleureux de la famille Helmer. En fond de scène, une baie vitrée permet d’apercevoir, dans l’ombre, les personnages qui s’approchent de la boîte aux lettres invisible, objet central de la tension dramatique de la pièce. Les trois tenues que porte Nora durant la pièce reflètent bien son évolution psychologique. En robe chasuble au début, elle revêt ensuite une fine robe rose poudré pour danser un charleston endiablé, puis un pantalon de tailleur noir avec un chemisier à lavallière blanc lorsqu’elle fait « tomber son costume de mascarade ». Torvald, d’abord en cravate, porte dans la scène finale un simple tee-shirt blanc, accentuant son aspect piteux lorsque Nora lui annonce sa volonté de s’émanciper. Florence Le Corre resplendit dans le personnage de Nora, dont elle incarne parfaitement les deux visages : la poupée, puis la femme. Elle défend son rôle avec brio et suscite l’affection et l’admiration pour ce personnage qui brise les conventions de son époque en renonçant à son rôle d’épouse et de mère pour « faire sa propre éducation ». Cette adaptation confirme que le chef d’œuvre d’Ibsen, ode à la liberté vivement contestée dès sa sortie en 1879, est intemporel et universel.

 

 

 

Une Maison de Poupée

de Henrik Ibsen

traduction Régis Boyer

adaptation et mise en scène Philippe Person

avec Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario et Philippe Person

lumières Alexandre Dujardin

décor Vincent Blot

 

du 7 décembre 2016 au 21 janvier 2017

 

Théâtre Lucernaire

53 Rue Notre Dame des Champs

75006 Paris

http://www.lucernaire.fr/