« MEDEA »  Dans les cendres brûlantes d’un amour millénaire 

Réécriture ultracontemporaine du mythe de Médée, Medea nous plonge, avec une urgence et une immédiateté terrifiantes, dans la détresse d’une femme que la douleur aura poussée à commettre un double infanticide.

Cette Médée-ci s’appelle Anna. Tout juste sortie de l’hôpital psychiatrique, où elle avait été internée pour avoir essayé d’empoisonner son mari infidèle, elle tente de retrouver sa place sociale. Reconquérir son époux, retourner à la vie de famille, récupérer son emploi… Démunie, elle se heurte à la réalité d’un monde qui a continué de tourner sans elle.

Décor d’un blanc immaculé, aveuglant, où rien ne pourrait être dissimulé. Aucun objet: seulement des êtres en mouvement. Au-dessus d’eux, un écran qui les expose davantage encore, filmés en plan rapproché, jusque dans le hors-champ du théâtre. Par cette pureté totale de l’image et cette exposition implacable, le récit nous parvient avec une émotion brute, immédiate, comme privée de tout filtre qui l’adoucirait. Nous sommes dans un lieu où le temps n’a plus cours, où la chronologie des événements se trouve renversée dans la dramaturgie tandis que plus de deux mille ans d’Histoire sont condensés : éternelle irruption du mythe dans la réalité, éternelle persistance des sentiments humains. La réécriture que nous propose Simon Stone fait ainsi preuve d’une rare intelligence : bien loin de n’être qu’une modernisation plate du mythe, elle le place dans un présent brûlant qui lui confère une force de frappe exceptionnelle, sans pour autant effacer ses origines hellénistiques. Comment ne pas être ému par Anna, cette Médée si contemporaine, si proche de nous, si accessible ? Comment ne pas ressentir sa souffrance lorsqu’on est face à cette image cruelle : Médée immobile dans les cendres de son amour, dans lesquelles jouent ceux qui l’ont côtoyée ?

Les acteurs du Toneelgroep Amsterdam excellent dans l’art de jouer, comme le dit Simon Stone lui-même, « des répliques banales dans un grand style théâtral », qui donne à voir tout le potentiel dramatique et mythique d’une situation ancrée dans la réalité. Marieke Heebink suscite la plus profonde empathie par son interprétation sans faille de cette Médée actuelle, démunie et perdue jusqu’au désespoir. Son duo avec Aus Greidanus jr., le mari tiraillé entre respect du passé et désir d’avenir, est plein d’une justesse cathartique. Saluons également les deux enfants qui apportent un semblant de joie à ce tableau, entourés de personnages secondaires moins complexes, mais tout aussi bien incarnés (Fred Goessens, Eva Heijnen, Bart Slegers, Jip Smit), qui renforcent la puissance de la représentation.

Après ce spectacle d’une intensité bouleversante, on ne peut qu’attendre avec hâte de découvrir les futures œuvres de Simon Stone – dès cet été au Festival d’Avignon avec Ibsen Huis, puis à la saison prochaine, de nouveau à l’Odéon, pour Les Trois Soeurs.

Informations pratiques

Auteur(s)
Simon Stone d’après Euripide

Mise en scène
Simon Stone

Avec
Fred Goessens, Aus Greidanus jr., Marieke Heebink, Eva Heijnen, Bart Slegers, Jip Smit, Faas Jonkers en alternance avec Rover Wouters, et Poema Kitseroo en alternance avec Stijn van der Plas.

Dates
Du 7 au 11 juin 2017

Durée
1h20

Adresse
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75005 Paris

www.theatre-odeon.eu