« MÉDÉE-MATÉRIAU »  Vide de sens, empli de sensations 

Créé en 2002, Médée-Matériau est le fruit de la collaboration entre Anatoli Vassiliev, grand maître du théâtre russe, descendant théâtral de Stanislavski, et de Valérie Dréville, comédienne fétiche d’Antoine Vitez puis de Claude Régy. Seule en scène, la comédienne va se plier à une nouvelle vision émotionnelle du personnage de Médée que lui propose le metteur en scène.

Le mythe de Médée est l’un des plus fondateurs de la mythologie occidentale. Amoureuse de Jason, elle trahit son frère et sa patrie de Colchide en faveur de l’envahisseur grec, afin qu’il obtienne la Toison d’Or. Par la suite rejetée par Jason tombant amoureux de Créüse, fille de Créon, roi de Corinthe où ils ont trouvé refuge, Médée assassine ses propres enfants, incendie Créüse, Créon et le palais royal, et fuit vers une nouvelle vie (dont les versions diffèrent selon les auteurs).

Avec Médée-Matériau, Anatoli Vassiliev décide d’aborder la verticalité de l’infanticide et de l’assasinat de la famille royale chez Médée. Que se passe-t-il chez elle ? Vassiliev parle ici de « sacrifice » des enfants, et non de meurtre. Ce passage de Médée d’une vie à une autre est accompli par un rituel, une sorte de magie qui lui permettra de se libérer de ces actes de trahisons au travers desquels elle a été forcée d’évoluer. À cette fin, le metteur en scène pousse sa comédienne à vider les mots de leurs contenu narratif, et à les emplir d’une puissance sensationnelle et émotionnelle beaucoup plus directe. Il ne sert à rien de tenter de comprendre intellectuellement ce qui se déroule sur scène ; on le ressent dans son ventre, ses cervicales ou sa colonne vertébrale. Cet approche se raccorde quelque part avec le travail final d’Antonin Artaud qui, arrivé « au bout du langage », cherchait chez ses comédiens une puissance émotionnelle directe dans la voix, au détriment de la sémantique textuelle classique et intelligible consciemment.

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© Jean-Louis Fernandez

Incarnée par une Valérie Dréville qui s’abandonne sans retenue dans ce rituel maléfique, on comprend que Médée se doit de détruire les éléments qui la rattachent à Jason, à la vie qu’elle veut fuir, en plus du fait qu’elle refuse que sa honte et son exil deviennent la patrie de sa progéniture. Vassilliev tente non de faire observer factuellement les horreurs du mythe, mais de faire pénétrer à l’intérieur même de l’état de dénuement de la figure mythique. Oublions les mots et leur sens, et ressentons directement la détresse, la rage, la haine et la résignation.

La scénographie, elle aussi d’Anatoli Vassiliev, renforce la puissance évocatrice balancée par la comédienne ; la présence de flammes créé l’univers du personnage immédiatement et renforce la notion de rite, les représentations symboliques en marionnettes des enfants, à qui elle adressera une certaine partie du texte, vivront et mourront par ses mains devant nos yeux, et la mer présente en permanence en fond ouvre à nos esprits le champ des possibles de “l’après”. Difficile d’accès dans la forme, transcendantal dans ses fonds.


Informations pratiques

Auteur(s)
Heiner Müller 

Mise en scène
Anatoli Vassiliev

Avec
Valérie Dréville

Dates
Du 24 mai au 4 juin 2017

Durée
1h20

Adresse
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de la Chapelle
75010 Paris

http://www.bouffesdunord.com/