« MIN EL DJAZAÏR », dénouer le passé pour tisser le présent

Min El Djazaïr de la Compagnie Hékau © Julie Boillot-Savarin

Après Tarakeeb, qui racontait les pérégrinations d’un dresseur de pigeons égyptien venu s’installer à Paris, la Cie Hékau poursuit sa double obsession – et pour le monde méditerranéen, et pour le théâtre d’ombres – avec Min El Djazaïr, littéralement « depuis l’Algérie ». Basée sur une recherche documentaire et familiale, la pièce écrite par Nicole Ayach et Sarah Melloul traite des mémoires juives d’Algérie autour de la guerre d’indépendance, des « trop juifs pour être pied-noir, trop français pour rester algérien » qui ont du quitter eux aussi le territoire. Mais comment traiter l’histoire de ceux qui ne pensaient même pas y participer ?

Plutôt qu’un récit de révolte, la fable prend le parti de suivre des destinées intimes et communautaires entraînées contre leur gré par la marche de l’histoire. La narratrice, Babeth, fait exister un univers centré sur le magasin de textile de son père, lui-même situé dans le quartier de la Lyre à Alger, dans lequel elle se met à travailler. Désireuse de ne pas mettre en danger la vie qu’elle construit en s’engageant, elle s’éloigne de sa soeur Simone, de plus en plus impliquée dans les mouvements indépendantistes. Elles subiront pourtant le même départ.

L’atmosphère étonne d’abord : tout en parlant de la guerre, des attentats et de la montée des tensions, la fable s’accroche au point de vue d’une femme ordinaire, qui ne veut pas s’en mêler, mais qui voit progressivement son monde se construire puis s’effondrer autour d’elle. En ressort une ambiance d’un calme inquiet, où le rythme connaît peu de perturbations. Il reste toutefois guidé par la superbe narration de Jina di Najma, dont la création sonore, aussi bien la musique que les ambiances, hantent l’espace et convoquent une assemblée de figures.

Car c’est bien cette invocation qui intéresse la Cie Hékau. L’intensité dramatique s’efface au profit d’un récit épisodique où revit, le temps du spectacle, une communauté faite d’ombres. Le dynamisme de la pièce passe surtout par l’espace rythmé de sa scénographie, élaborée par Julie Boillot-Savarin. La question de la projection est traitée avec une grande diversité, tant dans ses supports que dans ses modes ; d’une balade en lampe mobile au tissage d’un drapeau entre image et objet, apparaît une physicalité rare de la lumière.

Les marionnettes de Nicole Ayach ne sont pas en reste ; elles-mêmes sont parfois manipulées par des engins fantaisistes rappelant des métiers à tisser ou autres machines servant au textile, et leurs ombres se drapent de vêtements colorés ajoutant à la réminiscence d’époque. La place centrale du textile dans la pièce rappelle son importance dans l’histoire juive méditerranéenne, et sert de langage plastique aux ramifications étonnantes : à la fois cadre, décor, instrument, écran, les marionnettistes jouent constamment avec ce lexique et font dialoguer des matières cousines, donnant une grande cohérence à l’ensemble. L’éclatement de la scénographie rejoint la multiplicité des points de vue qui se développent. En marge de l’histoire, Min El Djazaïr multiplie les personnages et les positions sur le conflit, de l’inquiétude à l’indifférence. Mais quand le couteau tombe, ce sont toujours les mêmes souhaits empêchés : trouver sa terre, bâtir sa maison, fonder sa famille.

mineldjazair © Laetitia d'Aboville

Min El Djazaïr de la Compagnie Hékau © Laetitia d’Aboville

Informations pratiques

MIN EL DJAZAÏR Création octobre 2023 – Compagnie Hékau

Écriture et Mise en scène
Nicole Ayach, Sarah Melloul

Interprétation
Nicole Ayach, Pascale Goubert

Musique, création sonore et interprétation voix Jina di Najma
Scénographie et lumière Julie Boillot-Savarin
Construction de marionnettes Bruno Michellod
Création textiles Jenny Lai
Décors Christophe Derrien
Régie générale et plateau Tatiana Carret
Régie lumière et construction de marionnettes Zoé Sulmont
Création de lampes d’ombres Arpschuino

Dates
Les 23 et 24 novembre 2023 au Théâtre de la Halle Roublot, Fontenay-sous-Bois (94)
Du 22 au 25 janvier 2024 aux Plateaux Marionnettes au Théâtre de la Halle Roublot, Fontenay-sous-Bois (94)

Durée
1 h

Adresse
Théâtre Halle Roublot
95, rue Roublot
94120 Fontenay-sous-Bois

Informations complémentaires

Théâtre Halle Roublot
www.theatre-halle-roublot.fr

Compagnie Hékau
www.hekau.fr