« MOBILE HOME » de Sarah Carré, Le passage à l’âge adulte, un moment suspendu entre désirs et mélancolie

Mobile Home de Sarah Carré aux éditions Théâtrales Jeunesse. Pièce écrite en 2020- 2021, à l’invitation de Culture Commune, scène nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais et de l’Escapade (Hénin-Beaumont). Résultat d’une résidence d’écriture dans quatre collèges, avec le soutien de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Création prévue en novembre 2023 dans une mise en scène de Matthieu Roy.

Deux adolescents Dino et Côtelette, bientôt rejoints par Poney, se retrouvent dans un mobile home qui semble être leur QG depuis longtemps. Sans doute est-ce un endroit délaissé, mais ça, c’est une supputation, ils n’en parlent jamais ; mais ils ont la clé.
Deux garçons et une fille, Côtelette, donc, qui échangent des propos un peu banals, un peu décousus, énigmatiques. Le lecteur / spectateur est dans la position de qui surprend une conversation entre inconnus et tente de donner un sens à ce qu’il entend. On passe parfois du sens figuré au sens propre : un temps de chien, hier. Par un temps de chien, on ne sort pas son chien, hier. Et plus loin : il est con. Un con de chien. Moi, j’ai un nouveau voisin, il est con aussi. Et ensuite : t’aurais pas une humeur de chien ? amusant maniement du langage. On ne sait pas s’ils plaisantent ou s’ils sont désabusés. J’ai pris le mauvais chemin, je me suis perdue. Mais tu t’es retrouvée… quand on se retrouve, c’est comme ça, on plaisante, sans doute parce qu’on ne sait pas comment dire le plaisir des retrouvailles.
Ils bavardent, mais ils se posent aussi des questions importantes : tu as grossi ? Côtelette a-t-elle grossi ? en tout cas, elle a changé… c’est peut-être le maquillage ? et toi, tu fumes, maintenant ? si ma mère te voyait !

Les parents, bien sûr, ne sont jamais très loin des adolescents, même quand ils pensent s’émanciper. C’est que l’enfance est encore là qui leur colle à la peau. Chacun a une histoire plus ou moins heureuse et des aspirations plus ou moins claires. Cependant, les parents sont évoqués de manière très pudique, même leurs comportements fautifs apparaissent comme au détour d’une phrase ; c’est qu’on veut se montrer autonome, sans doute.

Alors, t’as grossi ? Finalement, oui, elle a grossi, Côtelette, parce qu’elle est enceinte, c’est ce qu’elle dit. Et à partir de là, les mots vont élaborer tout un monde : d’abord, où ? quand ? c’est pas la Sainte Vierge Nitouche… (trop joli !) et puis qu’est-ce que tu vas faire ? qui glisse en qu’est-ce qu’on va faire ? et c’est l’avenir réel qui s’ouvre dans une sorte de jeu de rôle. Partir, quitter cet endroit, quitter ces gens qu’on connaît trop, devenir autre chose… des adultes, en mieux !

Tâchons de ne pas trop divulgâcher, mais disons que cette façon à la fois réaliste et totalement rêveuse de passer de l’enfance à l’âge adulte à un charme fou. Peu importe si Côtelette est vraiment enceinte, l’essentiel est dans ce moment précieux d’amitié partagée, sans doute pour la dernière fois. La clé du mobile home symboliquement jetée comme on abandonne sa cabane dans les bois, c’est vraiment l’adieu à l’enfance, sans effusion, dans une sorte de mélancolie légère, un départ pour un avenir qui n’aura sans doute rien de flamboyant, mais on fera pour le mieux.

L’autrice fait preuve d’une grande finesse et d’une attention bienveillante envers ses personnages, jeunes gens simples qui n’ont pas toujours les mots pour se dire, mais dont la richesse de cœur est bien là.

Informations pratiques

Auteur(s)
Sarah Carré

Prix
8 euros

Éditions Théâtrales
www.editionstheatrales.fr