« Le Moche» de Marius von Mayenburg, mise en scène de Nathalie Sandoz, au Théâtre de L’Atalante.

Un Article de Paula Gomes.

 

Fenêtre sur le monde 

Devant une structure blanche imposante aux vitres opaques se tiennent deux hommes en costumes gris. Lette, brillant ingénieur d’une multinationale doit présenter à un congrès sa nouvelle invention, un connecteur pour courant fort. Son chef, Scheffler préfère envoyer à sa place son jeune assistant et finit par lui avouer qu’avec sa tête, il rebuterait les clients. Mais pourquoi personne ne lui a jamais rien dit ? Abasourdi, Lette insistant obtient de sa femme la confirmation de son incroyable laideur, mais Fanny prétend l’aimer malgré tout. Afin de sauver sa carrière et son couple, il recourt sans hésitation à la chirurgie esthétique.

 

Le Beau irrésistible, Lette est maintenant adulé de tous et attire de riches investisseurs lors de ses apparitions. L’opération est-elle un succès pour tous ? Le chirurgien, fasciné par son œuvre en fait des copies parfaites. Celui qui est devenu l’unique objet du désir perd de sa valeur à mesure que les sosies augmentent, même sa femme ne le reconnaît plus ! Sculptés, gainés, les corps se conforment aveuglément jusqu’à se fondre dans la masse. Le spectateur est dupé par ce « jeu de masques sans masques » : visage inchangé moche/beau ou double, les comédiens passent d’un rôle à l’autre sans différenciation notable. Un enchaînement de situations absurdes et drôles, de manipulations en tout genre, le parcours d’un homme ordinaire dans une société de consommation, régie par les diktats de la beauté et du pouvoir. Cette pièce grinçante laisse entrevoir une possible perte d’identité et de valeurs, à chacun de modifier son regard sur les autres et sur lui-même.

© De Facto

Nathalie Sandoz traite d’un monde moderne attaché aux apparences. La mise en scène expose sous une lumière scialytique, le corps objet de toute l’attention et au centre de la dramaturgie. Performances omniprésentes : travail, sexe, sport. Guillaume Marquet est attachant dans ce personnage qui passe de l’ombre à la lumière avec une certaine naïveté, croquant à pleine dent le fruit défendu. Métamorphosé, l’homme-objet sans émotion n’est plus productif, son désir s’essouffle. Sa destinée fatale le pousse à regretter son passé de Moche. La structure modulable dessine les multiples lieux : derrière les panneaux opaques, l’intimité de la chambre ou de la salle d’opération. Mais lorsque le Beau Lette surgit, le voyeurisme s’accentue et son éclat accapare la surface : podiums, corps dénudés, bains de foule. La femme, l’assistante médicale et la vieille dame riche voient différemment le même homme et sont interprétées adroitement par la comédienne Nathalie Jeannet. L’envahissement de l’espace, les personnages interchangeables et le rythme soutenu sans rupture dans l’enchaînement des scènes sont à l’image du consumérisme ambiant.

 

Marius von Mayenburg dresse une satire sociale dans laquelle l’individu en quête de richesse et de gloire, devient malgré lui un pur produit de consommation. Il plonge dans un monde de tromperies et de perversions où le seul but est d’assouvir ses désirs. Une réussite éphémère et illusoire que l’auteur allemand porte à la dérision avec des moments graves ou grotesques. Refusant le conformisme, il invite à exploiter son potentiel et ses différences, préserver sa liberté et établir des relations vraies. La proposition de la Cie De Facto est intéressante, la beauté subjective, chacun peut facilement s’identifier puisque la magie s’opère dans l’œil du spectateur.

© De Facto

Le Moche 

Texte de Marius von Mayenburg
Traduction  Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène  Nathalie Sandoz

Avec

Guillaume Marquet  Lette

Nathalie Jeannet  Fanny, la femme de Lette, une vieille dame riche et une assistante médicale

Gilles Tschudi   Scheffler, chef de Lette et un chirurgien

Raphaël Tschudi   Karlmann, assistant de Lette, fils de la vieille dame riche

Scénographie  Neda Loncarevic
Lumières et vidéo  Philippe Maeder
Univers sonore  Cédric Liardet
Costumes  Diane Grosset
Maquillages  Nathalie Mouschnino
Médiation  Carine Baillod
Régie technique  Julien Dick

Du 4 au 29 Janvier 2016

Les lundis, mercredis et vendredi 20h30, les jeudis et samedis à 19h, les dimanches à 17h

Durée 1h15

Théâtre de L’Atalante

10, place Charles Dullin

75018 Paris

http://www.theatre-latalante.com/