Article de Richard Magaldi-Trichet
Comme un rêve clair-obscur…
Molly Sweeney, femme de quarante et un an, a perdu la vue depuis l’âge de dix mois. Récemment mariée à Frank, enthousiaste et énergique, elle se laisse convaincre de rencontrer le Docteur Rice, ophtalmologue à la carrière brillante mais inégale, qui se propose de l’opérer pour lui rendre la vue. Mais l’accès au monde de la lumière se transforme en expérience déroutante…
© Franck Beloncle
Inspirée des travaux d’Oliver Sacks, célèbre neurologue à qui l’on doit notamment « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau », le texte du dramaturge irlandais Brian Friel a été adapté par Julie Brochen. La trame narrative est ici polyphonique, mêlant sur scène plusieurs voix, discours direct et discours rapporté, avec un résultat dramatique étonnant et envoûtant. Julie Brochen a notamment inclus des chants lyriques, magnifiquement interprétés par les excellents acteurs/chanteurs Olivier Dumait et Ronan Nédelec, accompagnés au piano par Nikola Takov, qui s’inscrit également dans la pièce en prenant part à la narration. L’air d’ouverture, « Sleep » de Britten, nous transporte d’emblée dans le monde onirique de Molly fait d’ombres et de lumières, où les fleurs se reconnaissent à la texture de leurs pétales. Habituée à la représentation de son monde tout en images et sensations intérieures, l’éblouissement de Molly par la lumière retrouvée et soudaine est une claque violente. Le réveil dans le monde réel vaut-il mieux que celui des faux-semblants de son enfance ?
© Franck Beloncle
Brian Friel, qui a, entre autres, magnifiquement traduit « Les Trois Soeurs » de Tchekhov pour l’Abbey Theatre de Dublin, sait nous faire partager une émotion par des mots simples et puissants. Il nous offre un texte à l’image de la verte Erin, on y parle de Kilkenny, du Donnegal et les vagues de l’océan viennent se briser au pied des falaises… L’adaptation de Julie Brochen garde et rend avec fidélité ces touches irlandaises. Elle interprète une Molly paysanne avec son physique un peu gauche, mais nous livre toute la sensibilité et la poésie de son monde intérieur avec une touchante sincérité. La scénographie de Lorenzo Albani et les lumières de Louise Gibaud sont en parfaite harmonie de tons et d’épurement avec la délicatesse du récit. La scène du Trévise, enfin, semble parfaite pour son ambiance hors du temps. Un voyage qui ressemble donc fort à ce que Nerval nommait « l’épanchement du rêve dans la vie réelle »…
Molly S.
d’après Molly Sweeney de Brian Friel
traduction Alain Delahaye
adaptation et mise en scène Julie Brochen
Avec Olivier Dumait, Ronan Nédelec, Nikola Takov (au piano) et Julie Brochen
Collaborateur artistique Colin Rey
Costumier/scénographe Lorenzo Albani
Créatrice lumières Louise Gibaud
jusqu’au 31 décembre 2016
Théâtre trévise
14 rue de trévise
75009 Paris