« Monsieur Kaïros » Ecriture et mise en scène de Fabio Alessandrini, au Théâtre Le Lucernaire

Article de Paula Gomes

Un artiste face à son œuvre

Installé à son bureau, un homme pianote sur son ordinateur, s’interrompt et dialogue à haute voix, seul dans la nuit profonde. « Monsieur, vous êtes qui ?… » L’écrivain concentré laisse libre cours à son imagination sans remarquer la présence d’un individu silencieux en costume noir, qui le dévisage. Craignant un piratage, l’auteur Théodore questionne sans relâche et va se rendre compte stupéfait que son personnage est matérialisé devant lui. Un face-à-face troublant et inattendu de deux protagonistes à la ressemblance frappante : même crâne rasé, même barbe et tenues sombres.

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© Christophe Leclaire

De la rencontre aux confrontations, un moment suspendu où chacun se dévoile, livre sa réalité et revendique son existence. Avec une certaine autorité, l’écrivain décrit l’importance du récit littéraire, la puissance des mots et de la tragédie. Tandis que le héros du roman, médecin humanitaire en Afghanistan veut se soustraire aux horreurs de la guerre qui le hantent et redevenir un être ordinaire. Ce souffle d’humanité laisse planer le doute. Le champ des possibles s’ouvre, fiction et réel se mêlent. Ce duo va réécrire l’histoire à l’unisson. Inspiré de l’œuvre de Luigi Pirandello, prix Nobel de littérature, ce spectacle est un voyage hors du temps, un regard sur l’être humain, le monde et la création. Deux acteurs brillants dans les situations comiques ou graves.

Création 2015, Monsieur Kaïros est un conte fantastique avec une mise en scène sobre, qui entretient le mystère par les effets miroir, les jeux de rôle, les bruits assourdissants et les projections à l’écran. La réalité resurgit par quelques éléments : le portable, le carnet. Fabio Alessandrini tient le rôle de Théodore à merveille. Qui mieux qu’un auteur, de surcroît comédien peut apporter sa vision sur les écrivains, leur ouvrage et par-delà questionner le monde. Yann Collette nous émeut dans son interprétation sensible du personnage sans nom qui dénonce les barbaries, refuse d’être un héros et veut prendre en main sa vie. Les deux hommes se côtoient sur le plateau sans jamais se toucher, semblant demeurer chacun dans leur univers. L’interprétation est d’une grande justesse, les comédiens dégagent beaucoup d’émotions.

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© Christophe Leclaire

Fabio Alessandrini livre un texte d’une parfaite maîtrise avec une portée dramaturgique intense. Il aborde de nombreuses thématiques : l’identité, la connaissance de soi et la capacité à changer son existence. Au moment de recevoir le prix Nobel en 1998, l’écrivain portugais José Saramago revient sur son œuvre : « Je me reconnais aujourd’huicréateur de ces personnages mais aussi créature d’eux. Dans un certain sens, on peut même dire que page après page, livre après livre, j’en suis venu successivement à implanter dans l’homme que j’étais les personnages que j’ai créés… ceux qui le plus intensément m’ont enseigné la dure tâche de vivre, ces dizaines de personnages de roman qui défilent en ce moment devant mes yeux. ». Voici une ode à la création fine, poétique et un regard sur la société actuelle.

 

Monsieur Kaïros

Ecriture et mise en scène Fabio Alessandrini

Avec

Yann Collette

Fabio Alessandri

Assistante mise en scène Sonia Masson

Scénographie et image vidéo Jean-Pierre Benzekri

Lumière Jérôme Bertin

Son Nicolas Coulon

Production Compagnie Teatro Di Fabio

 

Du mercredi 19 octobre au 3 décembre 2016

Du mardi au samedi à 21 h

 

Théâtre Le Lucernaire

53, rue Notre-Dame-des-Champs

75006 Paris 

http://www.lucernaire.fr/