« Naissance d’un chef d’œuvre » mise en scène de Stéphanie Chévara au Théâtre de Belleville

Article de Jeanne de Bascher

Le théâtre mis en abîme

« Naissance d’un chef d’œuvre » revient sur les prémisses d’une pièce fascinante qui n’en reste pas moins mystérieuse.

Elle s’attache à retracer le laborieux parcours d’une œuvre extraordinaire, pleine de paradoxes liés à la personnalité de son auteur. Comment peut-il écrire un chef d’œuvre alors qu’il ne connaît rien au théâtre ? Rappelons que Beckett n’allait jamais voir de pièce ! Incroyable, l’un des chefs de file du théâtre de l’absurde n’assistait à aucun spectacle ! Il se lance dans la rédaction d’En attendant Godot pour « se détendre » de sa prose. En somme, il écrit pour tuer le temps, comme d’autres joueraient aux dés ou aux mots croisés. Beckett a avant tout cherché à écrire une pièce simple, voire simpliste : deux hommes attendent quelqu’un qui ne vient pas.

naissance_chef_oeuvre_dominique_martigne_1© Dominique Martigne

Second paradoxe mis en avant dans la pièce : celui de l’objet et de sa réception. En attendant Godot continue de susciter les plus grandes analyses métaphysiques. Son titre offre de multiples interprétations, toutes récusées par l’auteur. « Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention. […] Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. […] Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, […] je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible. »

naissance_chef_oeuvre_dominique_martigne_2© Dominique Martigne

Le plus drôle est bien sûr la déception que ressent Beckett à être compris. Son Prix Nobel de Littérature en 1969 sera pour lui un vrai coup de massue. Cioran précise « Quelle humiliation pour un homme si orgueilleux ! La tristesse d’être compris ! ». La pièce s’attache bien à décrire le comportement paradoxal d’un écrivain malheureux d’être joué et admiré de tous. Le cynisme et l’autodérision de l’auteur le rendent attachants, toutes ses répliques sont cultes et amusent le public. Barthélémy Goutet l’interprète d’ailleurs à merveille.
Le charme de la pièce ne revient finalement pas à Beckett mais bien à ce qui s’agite autour de lui. Que serait devenu le timide auteur sans l’aide acharnée de Suzanne et Roger Blin ? Sa femme qui s’exténua à faire le tour des théâtres pour proposer la pièce, accepté par Blin, qui passa plus de trois ans à la monter. Pour une fois, les seconds rôles sont plus importants que le héros. La mise en abîme (une pièce qui raconte la naissance d’une autre) subtile et vivante, rend compte, avec raison, de l’irrépressible ténacité dont le monde du spectacle fait preuve pour survivre. Ce ballet d’acteurs et de saynètes prend forme sous nos yeux, charmés par la délicate mise en scène. Soignée et inventive, elle ne se restreint pas aux quelques mètres carrés dont elle a droit. Elle se sert au contraire de la difficulté pour inventer une nouvelle façon de voir un décor, avec intelligence et modernité.
On reprochera quelques longueurs au spectacle, qui aurait été plus vif en une heure. Le souci de vouloir bien faire et tout expliquer…

Naissance d’un chef d’œuvre
De Stéphanie Chévara
Mise en scène de Stéphanie Chévara
Avec Morgane Bader, Françoise Boisseau, Gérald Cesbron, Laurent Collard, Barthélémy Goutet, et en alternance les enfants Arthur Minthe et Théophile Pouillot-Chévara
Scénographie Victor Melchy
Lumières et vidéo Stéphanie Chevara et Cédric Henneré
Costumes Carine Grimonpont
Du 28 Octobre au 3 Décembre 2015

Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
www.theatredebelleville.com