« NÔ ET KYÔGEN – En hommage à nos maîtres et à nos sources », ou la traversée du Temps

Nô et Kyôgen avec Kinué Oshima et Tadashi Ogasawara © Oshima Noh Theater

C’était au cœur de la sombre tempête pestiférée que nous avons récemment vécue que la troupe du théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine avec Hélène Cixous et Jean-Jacques Lemêtre, s’est lancée dans la création de cette île merveilleuse, cette île de l’espoir, l’Ile d’or, Kanemu-Jima en 2021. Cette île c’est le Japon, ou plus précisément la petite île de Sado, dans la mer du Japon à l’Ouest de Niigata. Il s’agissait de retrouver le sens du vrai, du juste, du bonheur, de la Vie. Retrouver notre orient en somme et quoi de plus naturel que de le chercher justement à l’Orient.

2023, la peste s’est éloignée, les frontières se sont rouvertes, un peu de lumière a filtré qui a donné enfin l’occasion à la Cartoucherie d’accueillir ses maîtres et ses sources, c’est-à-dire le théâtre Nô et Kyôgen, portés entre autres par Kinue Oshima et Tadashi Ogasawara et leur famille, pour une série de spectacles très rares en France. Furent ainsi données le 15 mars Hagoromo, dans sa partie finale dansée (maibayashi), Futari bakama, une pièce comique (kyôgen) et Sumidagawa, une pièce « tragique » de Nô.

Le Nô est la plus ancienne forme d’art théâtrale japonaise né au XIVe siècle, dans la région de Nara. Issu de divertissements populaires associés à des danses rituelles d’offrandes, il mêle jeu d’acteurs, danses, musique avec instruments et chœur, costumes somptueux et masques. Il est marqué par l’influence de la culture de cours mais aussi par les arts populaires, le bouddhisme zen et la peinture à l’encre. Zeami (1363-1443?), formé par son père Kanami et avec le grand soutien du shogun Ashikaga Yoshimitsu (1358-1408), est considéré comme le fondateur révolutionnaire du style actuel du Nô. Ainsi, le théâtre Nô est-il un art séculaire, rigoureusement codifié, qui se transmet au travers de lignées familiales, de maître à disciples, de père en fils essentiellement. Pourtant c’est Kinue Oshima, une femme formée au sein de l’école Kita, qui entre en scène la première pour incarner en tant que shite (rôle principal) une créature céleste. Celle-ci, par sa danse raffinée réussira à amadouer un jeune pêcheur, à récupérer sa « robe de plumes » et ainsi à regagner le ciel. Kinue Oshima est la seule actrice de l’école Kita formée par son grand-père et son père qui a réussi à se faire une place au sein du théâtre Nô, traditionnellement réservé aux hommes. Elle est aujourd’hui une très grande figure du théâtre Nô dont la renommée a largement dépassé les frontières du Japon.

Pour accueillir au mieux les vingt-deux artistes des écoles Kita et Izumi, Kinué Oshima et sa famille, Tadashi Ogasawara et son fils Hiroaki, le théâtre du soleil s’est astreint à recréer l’espace scénique où se déroulent traditionnellement les spectacles de Nô. Il s’agit d’une structure en bois recouverte d’un toit qui se compose principalement de 5 espaces : le plus important est le plateau quadrangulaire (butai) ; derrière lui on trouve l’atoza où prennent place les musiciens ; à droite du plateau central quadrangulaire se trouve le jiutaiza où le chœur s’installe. Enfin à gauche du butai se trouve le pont hashigakari qui permet aux acteurs venant de la chambre au miroir (espace d’attente hors de vue des spectateurs) de rejoindre le plateau. Le seul décor visible à l’arrière-fond de la scène est un pin peint. On comprend bien que la sobriété et le dépouillement de l’espace scénique invitent les spectateurs à se concentrer uniquement sur le jeu des acteurs, des musiciens et des choreutes.

C’est sans doute d’ailleurs la sobriété, la retenue, la lenteur travaillée et réfléchie de chaque geste, de chaque inflexion et de chaque souffle qui donnent sa puissance au Nô, sa capacité à retenir notre attention de façon quasi hypnotique. Cet effet est renforcé par le jeu du flûtiste mais aussi par le chant des choreutes dont les voix profondes et graves à l’unisson s’apparente à une psalmodie, tandis que le chant hiératique et guttural des musiciens percussionnistes, notamment le joueur d’ôtsuzumi et celui de kotsuzumi nous emportent dans un lointain ailleurs si étrange et si beau dans son étrangeté même. Le spectateur est invité en quelque sorte à un voyage intérieur, entre songe flottant et méditation.

Afin cependant de ne pas lasser les spectateurs et pour leur offrir toute la palette des émotions humaines, une pièce de kyôgen a donc été insérée entre les deux pièces de Nô. Le kyôgen est une forme de comédie populaire médiévale apparue dans la région de Kyōto en même temps que le nô, au XIVe siècle. Un peu à la manière de la commedia dell’arte en Italie, il s’agissait à l’origine d’une forme improvisée plutôt simple, sans texte ni auteur défini. Le kyôgen est ensuite devenu un genre théâtral plus structuré et codifié mais toujours accessible. Fondé sur une intrigue et des personnages sans complexité particulière, et jouant sur le comique de situation, « un hakama pour deux » nous montre ainsi un père et son fils qui doivent se partager le même pantalon lors d’une cérémonie, ce qui bien sûr les amène à se retrouver dans des situations impossibles et burlesques…Les rires fusent dans la salle !

On peut donc affirmer que le pari d’un théâtre universel a bien été remporté, qu’il s’agisse de sa forme comique ou tragique, et qu’une fois encore le théâtre du soleil grâce à ses invités venus du soleil levant nous aura permis de vivre une expérience extra-ordinaire.

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Nô et Kyogen 2 c Oshima Noh Theater
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Nô et Kyôgen, avec Kinué Oshima et Tadashi Ogasawara © Oshima Noh Theater

Informations pratiques

NÔ ET KYÔGEN – En hommage à nos maîtres et à nos sources

Le Théâtre du Soleil accueille 22 artistes des écoles Kita et Izumi – Kinué Oshima et sa famille, Tadashi Ogasawara et son fils Hiroaki, pour cinq kakan (comprenez cinq représentations jouées en journée ou en soirée)

Avec
Programme du mercredi 15 mars à 19h30
Hagoromo (shité : Kinué Oshima)
Futari bakama (shité : Tadashi Ogasawara)
Sumida-gawa (shité : Ryoichi Kano, kokata : Nanami Araki,
waki : Ryôichi Arimatsu, waki-tsuré : Mitsuru Oka)

Dates
Du 15 au 19 mars 2023 au théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes
mercredi, jeudi et vendredi à 19h30, samedi à 15h, dimanche à 13h30

Durée
2h à 2h40

Adresse
Théâtre du Soleil
Cartoucherie
75012 Paris

Informations complémentaires

Théâtre du Soleil
www.theatre-du-soleil.fr