Article d’Ondine Bérenger
Le théâtre et la guerre
Création inspirée du Théâtre ambulant Chopalovitch, « Notre crâne comme accessoire » relate l’histoire d’une troupe de comédiens arrivant dans une ville en guerre pour jouer Les Trois Petits Cochons, seul spectacle autorisé dans le climat de terreur qui règne. Mais dans ces conditions où tout est surveillé, empêché, où la population vit au bruit perpétuel des coups de feu, peut-on, doit-on encore faire du théâtre ?
© Victor Tonelli / ArtComArt
Pour répondre à cette question, le collectif des Sans Cou n’a qu’une seule solution : faire théâtre de tout. Dans la superbe ruine des Bouffes du Nord, l’immersion est totale, et la mise en abîme du théâtre rend presque indissociables les niveaux de la fiction. Il semble que nous soyons ce public d’une ville en guerre et que la salle soit ce théâtre quasi-abandonné, rempli d’échafaudages, où la troupe doit vivre, répéter et jouer. Ici, même si rien n’est réel, tout paraît pourtant vrai.
Il s’agit d’un spectacle foisonnant, tourbillonnant, où faits et mots sont enchevêtrés avec une grande maîtrise, où l’on se perd et se retrouve sans cesse. L’histoire se déroule « ici, maintenant et ailleurs, c’est-à-dire nulle part », contexte flou mis en relief par l’anachronie complète de la mise en scène, et qui pourtant n’empêche en rien l’émotion. Dans cette ambiance délétère, les mots fusent, avec un humour et un cynisme qui font rire aux éclats malgré la peur qui rôde, partout, renforcée par la musique qui rythme la pièce.
© Victor Tonelli / ArtComArt
Comme lors de la précédente création des Sans Cou (et peut-être encore davantage cette fois-ci), le spectacle est à déconseiller à un public jeune ou sensible, car la violence, bien que très justifiée, est extrême, et l’atmosphère particulièrement oppressante. On se souviendra de l’angoisse suscitée dans le public par le terrifiant personnage du Broyeur…
De plus, les comédiens, totalement impliqués dans leurs rôles, parviennent à créer une illusion théâtrale très forte. On déplorera seulement quelques défauts dans la diction (sans doute amplifiés par l’acoustique de la salle) qui nuisent parfois à la compréhension du texte. Dommage, car ce dernier est riche et démontre une grande intelligence dans la réflexion.
Ainsi, plus qu’un simple questionnement sur la place du théâtre dans un contexte de crise, « Notre crâne comme accessoire » est une véritable profession de foi envers l’art dramatique : résistance sublime, indissociable de la vie, et à laquelle le comédien, s’il le pouvait, consacrerait jusqu’à sa mort, en léguant à une troupe son crâne comme accessoire…
Une création originale dont on ressort secoué, ébranlé, mais ravi.
Notre crâne comme accessoire
Création collective des Sans Cou
Mise en scène Igor Mendjisky
assisté par Luc Rodier
avec Clément Aubert, Raphaël Charpentier, Hélène Chrysochoos, Romain Cottard, Pierre Déaux, Paul Jeanson, Eléonore Joncquez, Igor Mendjisky, Arnaud Pfeiffer et Esther Van den Driessche
Musique Raphaël Charpentier
Costumes May Katrem
Couturière Sandrine Gimenez
Chorégraphie Esther Van den Driessche
Lumières Stéphane Deschamps
Scénographie Claire Massard et Igor Mendjisky
Vidéo Yannick Donet
du 8 au 26 mars
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de la Chapelle
75010 Paris