« Nous qui sommes cent » de Jonas Hassen Khemiri mise en scène Laura Perrotte au Théâtre des Déchargeurs

Article de Léa Carabu

Fragments d’une femme en trois voix exaltées !

Trois « voix », celles d’une seule et même femme s’élèvent, contestent, s’affrontent et s’inventent une vie sous nos yeux. De la petite enfance à l’adolescence revêche, des premiers émois amoureux aux premiers engagements politiques, jusqu’à la découverte inéluctable de la condition humaine ; la solitude. Condamnée à se questionner sur « l’insoutenable légèreté de l’être » (cf. M. Kundera), cette femme à trois voix tente de survivre. Entourées de meubles pour enfants, les trois comédiennes nous happent dans une tornade violente, une ode à la vie !

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Drapées de robes bleues pailletées les trois héroïnes s’apprêtent à faire « le grand saut ». On frémit à cette idée, on rit nerveusement, on se demande si on a choisi le bon soir pour s’infliger ça. Les trois visages n’expriment aucune souffrance, aucune peur, peut-être même un peu de joie. Elles ont trois âges différents et trois existences entremêlées faites de rêves et de désillusions. Elles se chamaillent, se heurtent puis se consolent à grands renforts d’amour et de projets pour le monde entier. Une rue portera leur nom, de grandes conférences seront organisées en leur honneur, elles sauveront le monde de l’injustice. On sourit, on se rappelle, émut, nos propres rêves de grandeur. On s’interroge sur la complexité de la condition humaine qui pousse les êtres à se questionner sur leur raison de vivre, d’aimer, de créer, de partager, d’accepter la solitude ou encore la mort. Ces questions, ces doutes, fondent une société du silence où il est difficile de briser sa solitude.

Jonas Hassen nous offre ici une fenêtre intérieure qui nous concerne tous, femmes et hommes. L’auteur réussit à toucher profondément nos êtres avec un texte juste et délicat, parfois amère, qui ne tombe jamais dans le pathos. Soudain on est cent dans la salle, ces cent-là qui portent les petites voix intérieures de nos doutes, de nos terreurs et de nos espoirs. On est mal à l’aise et pourtant on a envie de crier à ces trois-là qu’on les remercie, désormais on est un peu moins seul. C’est un véritable tour de force qui nous tient sur le fil entre rires, angoisses, larmes et soulagements.

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Il y a quelque chose de mystique, d’exutoire dans la transe de ces trois comédiennes, toujours juste, sans fausse note. Chacune porte ses convictions avec fougue et détermination, persuadées de détenir la solution à tous leurs doutes. Caroline Monnier est particulièrement saisissante dans le rôle de la plus jeune femme, l’adolescente revêche et passionnée. Elle offre un jeu brut, d’une sincérité tranchante qui capture le cœur.
Ce beau trio est porté par une mise en scène de Laura Perrotte (la femme 3) qui laisse la part belle aux comédiennes et vient souligner à la fois avec force et discrétion les émotions d’une femme au bord de la crise de nerfs.
C’est un moment impudique, brutal, mais nécessaire.

Nous qui sommes cent
Texte JONAS HASSEN KHEMIRI
publié aux éditions théâtrales
Traduction MARIANNE SÉGOL-SAMOY
Mise en scène LAURA PERROTTE
Avec CAROLINE MONNIER, LAURA PERROTTE, ISABELLE SELESKOVITCH
Du 13 octobre au 7 novembre 2015

Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
http://www.lesdechargeurs.fr