« On a fort mal dormi » d’après Les naufragés et Le sang nouveau est arrivé de Patrick Declerck, adaptation et mise en scène de Guillaume Barbot au Théâtre du Rond-Point.

Un article d’Irène Le Goué

Regards vers la rue

 

Si le théâtre est le lieu d’où l’on voit, voilà une mise en lumière des invisibles, ces personnages urbains omniprésents très souvent ignorés des foules traversant les villes au quotidien : les « clochards ». A quelques dizaines de mètres des Champs-Élysées, l’une des avenues les plus chères au monde, le Théâtre du Rond-Point accueille un spectacle éclairant sur la misère (in)humaine.

© Cie Coup de Poker

Lumière sur la scène et dans la salle. Le public s’installe et discute, un œil sur la scénographie légère, une petite estrade de palettes jaunes sur lesquelles attend un simple tabouret. Deux autres palettes longues et étroites, dressées à la verticale, encadrent l’un des angles de cette scène de bois minuscule. Une installation simple et précaire.

Les spectateurs patientent, guettant l’entrée de l’acteur. Mais l’acteur est entré depuis un moment déjà, il est là, avec nous, invisible.

Lorsque Jean-Christophe Quenon prend la parole, il captive immédiatement. Après une brève présentation des personnages qui lui sont attribués, l’acteur se lance dans la fiction et nous emmène sur la trajectoire de Patrick Declerck, anthropologue, psychanalyste, philosophe et écrivain, aux multiples casquettes mais au domicile fixe. Infiltré dans les fripes d’un SDF, un soir d’hiver, il se jette à la rue pour en rencontrer d’autres, les vrais.

La mise en scène de Guillaume Barbot nous propose une immersion dans la rue, un arrêt dans ses angles, sur les palettes ou cartons disposés devant les vitrines de ses grands magasins, une pause dissimulée derrière les sièges en plastique des quais de métro ou sur le souffle tiède des grilles d’aération, un puant voyage dans le bus de ramassage : un aller simple, volontaire ou forcé, vers les centres d’accueil de SDF, où, sans surprise, on dormira fort mal.

Témoignage de cette expérience anthropologique, On a fort mal dormi est tour à tour plongeon documentaire et envolée manifeste, et si les transitions désarçonnent par un brusque changement de langue, les leçons sont claires :

« La souffrance des pauvres et des fous est organisée, mise en scène, nécessaire.

L’ordre social est à ce prix. »

« Il faut que ça cesse. Il faut appeler le crime par son nom. Il faut, par la loi,

rendre illégale la mise à la rue. »

Le maillage des textes de Patrick Declerck articulé par Guillaume Barbot manque parfois d’un peu de subtilité dans ses transitions : alors que le public est entièrement happé par le récit de l’expérience, une prise de recul lui est imposée subitement par une analyse philosophique ou une revendication politique assumée. Dans cette partition exigeante, Jean-Christophe Quenon éblouit par son charisme, sa sensibilité et son habileté à jongler d’un personnage à l’autre, à nous faire sourire quand les larmes ou le dégoût nous montent au ventre. Jamais culpabilisant, ce spectacle est un espace de rencontre : avec ces abandonné.e.s par l’État, avec cet acteur magnifique qu’est Jean-Christophe Quenon.

© Cie Coup de Poker

Le final exige un nouveau droit de l’homme, un engagement étatique. Que l’on croie ou non à la revendication énoncée, le débat est lancé.


On a fort mal dormi

d’après Les Naufragés et Le sang nouveau est arrivé de Patrick Declerck

Adaptation et mise en scène : Guillaume Barbot

Avec : Jean-Christophe Quenon

Assistanat et dramaturgie : Céline Champinot

Lumière : Maryse Gautier

Assistanat lumière et régie : Franck Lezervant

Collaboration aux costumes : Benjamin Moreau

Administration : Catherine Bougerol

Diffusion et production : Claire Duppont

Jusqu’au 12 mars 2017

Du mardi au samedi à 20h30, les dimanches à 15h30

au Théâtre du Rond-Point
Salle Roland Topor
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

http://www.theatredurondpoint.fr/