Article de Marianne Guernet-Mouton
On n’y voit rien ?
On s’en fout qu’ça soit beau ! est une pièce qui a été créée en 2013 par Jean-François Maurier. Metteur en scène et acteur formé au mime corporel, depuis 1993 il dirige de nombreux ateliers autour du clown de théâtre, une formation et un goût pour le clownesque qui ne passent pas inaperçus dans cette création actuellement jouée au Lucernaire. Dans un registre volontairement comique, « On s’en fout qu’ça soit beau ! » est une pièce dont l’ambition est que « l’art ne fasse plus jamais peur », une ambition portée par trois acteurs, qui grâce à des œuvres d’art fictives ou réelles et un ensemble de machines, s’attèlent à questionner l’art contemporain, que ce soit du côté des œuvres, des artistes, des galeristes ou du public.
« Il y aura toujours dans la foule un crétin qui, sous prétexte qu’il ne comprend pas, décrètera qu’il n’y a rien à comprendre » a écrit Amélie Nothomb non sans humour dans Péplum, et c’est sans doute le même « crétin » qui dirait « Mon fils de cinq ans aurait pu le faire ! » devant une œuvre d’art contemporain. Un type de « crétin » en tout cas que les deux acteurs, vraisemblablement deux galeristes à en juger par leurs vêtements, se plaisent à incarner sinon à voir en leur public qu’ils accueillent en personne dans la salle de théâtre. Le public prend alors place devant ce qui a l’air d’être une œuvre d’art, ou peut-être un amas de chaises colorées recouvert d’un plastique : tout est question de point de vue après tout. Car le problème – entendons par problème l’art contemporain – est là : Quand est-ce qu’il y a art ? À partir de quand une chaise cesse d’être un objet utilitaire et devient art ? De la même manière, comment savoir si un pot de fleur raté n’est pas raté comme œuvre d’art ? C’est avec une énergie folle et un ensemble de machineries parfois étonnantes que les deux galeristes, accompagnés d’un troisième acteur quasi muet bien qu’hilarant tout occupé à semer le bas-art et déplacer le décor, prennent à bras le corps les grandes questions de l’art contemporain. Indéniablement formés au mime, les acteurs ont tout de deux clowns qui, surjouant par moments, n’en restent pas moins jouissifs à observer dans leur interminable questionnement autour de cette sempiternelle question : qui de la poule ou de l’œuf ?
Pour tenter de répondre à cette question, les personnages prennent à parti leur public dans un jeu de déconstruction de la construction de l’artiste imaginé Othoën Karsbahn puis dans une mise en abyme de la vision autour de l’œuvre imaginée d’Herman Krout. Faisant appel à des artistes imaginaires ou réels comme Rembrandt ou Courbet, ils s’attaquent aux clichés et c’est assez jubilatoire. Ainsi l’histoire de l’art contemporain est revue et moquée ne serait-ce que par l’évocation de nouveaux mouvements artistiques : les Intéressants, les néo-sceptiques, les rudimentaires rejetés du fameux « Salon des éjectés » ou encore les postreconstructivistes. En somme, les acteurs parviennent à libérer le public de ses bonnes intentions et rendent possible au théâtre ce qui ne le serait sans doute pas au Centre Pompidou ou dans une quelconque Galerie. C’est avec brio qu’ils questionnent l’art contemporain, le regard, le regardé, l’émotion, la beauté, mais un art contemporain de quoi d’ailleurs ? Contemporain veut-il dire « art des derniers jours », « art d’en ce moment », « art d’y a par longtemps » ? Dans cette pièce participative qui manque parfois de fluidité dans les enchaînements, aucune limite ne semble être fixée si bien que tout est prétexte au rire, et ce malgré quelques maladresses dans la mise en scène sans doute dues à l’espace scénique très restreint.
Quoiqu’il en soit, face à ces acteurs animés par la volonté de soulager le public de comprendre, on prend plaisir à se sentir crétin !
On s’en fout qu’ça soit beau !
Conception et mise en scène Jean-François Maurier
Avec Sandrine Baumajs, Rafael Batonnet et Jean-François Maurier
Lumière Pierre-Émile Soulié
Accessoires et machines Sophie Berger et Grégoire Danset
Du 9 décembre 2015 au 30 janvier 2016
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris