Orestie au Théâtre de l’Odéon

Orestie (une comédie organique ?) d’après Eschyle de Romeo Castellucci 

Du 2 au 20 décembre 2015

Ramener sur scène l’animal

Hérauts d’un théâtre «émotionnel avant d’être culturel», Romeo Castellucci et sa compagnie retrouvent la scène de l’Odéon, qui avait accueilli avec le Festival d’Automne six de leurs travaux entre 2000 et 2006. Cette fois-ci, ce sera pour revenir à l’une des recherches fondatrices de la Socìetas Raffaello Sanzio (ainsi nommée en hommage à Raphaël, chez qui «le tourment est aussi violent que chez Michel-Ange, mais il ne se fait pas voir») : vingt ans après la création d’une Orestie qu’il avait sous-titrée «une comédie organique ?», Castellucci reprend son dialogue avec Eschyle afin d’explorer, à travers l’œuvre du premier des Tragiques, les fondements occidentaux de la représentation. Depuis 1981, la Socìetas Raffaello Sanzio poursuit un travail d’une originalité sans équivalent, éprouvant, interrogeant, ébranlant la plupart des distinctions établies sur lesquelles reposent traditionnellement la production et la réception d’œuvres théâtrales.

Orestie_lucia_del_pia_1© Lucia Del Pia

Dans sa relation au répertoire, tout d’abord. La Socìetas ne met pas en scène des textes, elle remonte pour ainsi dire plus haut. Romeo Castellucci et son équipe n’ont jamais abordé d’œuvres classiques qu’en vue d’opérer grâce à elles une véritable conversion de l’origine, qui n’est plus, pour reprendre leurs termes, tournée vers le passé, mais doit s’enraciner dans l’avenir et se nourrir à son tour du temps qu’elle inaugure. Aussi le terme de «pré-tragique» revient-il souvent dans leur réflexion, qui est aussi une quête de la puissance et de l’effroi que la tragédie attique, à leurs yeux, a fixés et adultérés en leur donnant la forme représentative qu’a recueillie la tradition théâtrale d’Occident. Par delà la représentation et la «communication», la Socìetas vise donc à en retrouver les matériaux et à réveiller le niveau nerveux, organique, où conceptuel et sensible, mental et perceptif hésitent encore à distinguer leurs voies. Pour y parvenir, Castellucci et ses compagnons pratiquent un rapport très particulier aux images, aux interprètes, et enfin à leurs propres œuvres.
Aux images : évocatrices ou provocatrices, le plasticien iconoclaste qu’est Romeo Castellucci, en les mettant au point, semble doser finement les archétypes les plus profondément enfouis avec des éléments empruntés à la technologie la plus contemporaine. Le clinique et le corrompu, le pur et l’obscène, le rituel et le dérisoire paraissent parfois s’y greffer l’un sur l’autre pour produire des créatures scéniques inouïes.
Aux interprètes : la Socìetas a souvent donné à voir des corps (malades, blessés, souffrants, difformes) dont la censure est si profondément ancrée dans nos habitudes et nos modes courants de représentation qu’elle semble aller de soi. Ce retour de l’organique, subvertissant le primat du «beau corps» de l’être humain adulte, rationnel et doué de langage, se complète naturellement d’une présence accrue de l’animal ou de l’enfantin : «le geste polémique que nous avons à l’égard de la tragédie attique», écrit Castellucci, «est de ramener sur scène l’animal en faisant un pas en arrière. […] Un théâtre prétragique renvoie, tout d’abord, à un théâtre enfantin».
Enfin, la remise en cause et l’examen critique de toutes les fondations de l’art théâtral, tel que l’opèrent les membres de la Socìetas, passent également par un approfondissement de leurs propres pratiques. La réinvention de l’Orestie pourrait constituer à cet égard le point de départ d’une nouvelle réflexion sur ce que Castellucci appelle «une amnésie essentielle tant du théâtre que de l’immense archive du geste occidental». Quelle étape marquera ce travail de retour sur soi dans l’histoire de l’une des compagnies européennes les plus extraordinairement innovantes des trente dernières années ? Une chose est sûre : la puissance évocatoire, les chocs et le trouble, l’étrangeté radicale qui font la marque des créations de la Socìetas seront présents au rendezvous à l’Odéon.
Certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes, il est déconseillé aux moins de 16 ans

Orestie
(une comédie organique ?) d’après Eschyle de Romeo Castellucci
avec Loris Comandini, Giuseppe Farruggia, Marcus Fassl, Carla Giacchella, Antoine Marchand, NicoNote, Marika Pugliatti, Fabio Spadoni, Simone Toni, Georgios Tsiantoul

Du 2 au 20 décembre 2015

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris
http://www.theatre-odeon.eu/fr