Article de Sébastien Scherr
Dada et dodo
Jacques Rigaud, Jacques Vaché et Arthur Cravan sont trois poètes surréalistes des années 20 tombés dans l’oubli, qui furent, à l’instar d’Oscar Wilde, plus connus de leur temps pour leurs frasques et leur iconoclasme que pour leur œuvre, qui pour le coup fut quasiment inexistante – et c’est là que la comparaison avec Wilde s’arrête.
© Giovanni Cittadini Cesi
Ribes s’est intéressé à eux pour leur destin parallèle : trois histrions à la vie courte et intense, brûlée au feu d’une passion pour la mort, la folie et l’anarchie, ou du moins la haine de la société, suicidés à peine la trentaine atteinte. Ils ne se sont pas rencontrés, bien qu’ils eussent sûrement eu quelque entente possible, et l’auteur leur donne cette opportunité à travers sa pièce. Le texte est divisé en cinq tableaux : la Guerre, l’Amour, l’Art, l’Ennui et la Mort. Ces âmes perdues dans un monde qui ne leur ressemble pas, qui ne les comprend pas et qu’ils ne comprennent pas sont touchantes par leur cynisme naïf et leur pureté.
Hélas, la mise en scène n’est pas à la hauteur du texte. Ribes déclare avoir revu sa pièce, qui date des années 70, en y ajoutant une touche musicale. Certes, les années 20 furent des années festives, et délirantes, au sortir d’une guerre moderne terriblement meurtrière, comme le montrent les romans d’Hemingway ou de Fitzgerald. Mais justement, c’est l’univers des années 20 qui fait le plus défaut à la mise en scène. Tout y est ultra théâtralisé, démonstratif et grandiloquent. À commencer par le décor : de gigantesques éléments séparés de style « Music Hall » qui donnent plus l’impression que toute la vie de ces trois hommes se déroule dans un théâtre. Ce qui amoindrit la portée de leurs existences tourmentées. Les passages chantés ou dansés viennent plutôt ralentir le rythme qu’ajouter quoi que ce soit au texte original.
© Giovanni Cittadini Cesi
Question jeu, seul Michel Fau (Cravan) donne à voir la folie et l’absurde de son personnage haut en couleur, et Maxime d’Abboville (Vaché), Alexie Ribes (Mina Loy et autres) et Stéphane Roger (Thomas Barber et autres) s’en sortent honorablement avec quelques bons moments. Le reste est plat ou extérieur. De sorte que le tableau de l’Ennui, qui eût dû être une séquence fortement absurde à hurler de rire, nous donne seulement à ressentir… l’ennui, qui était déjà apparu dans les deux tableaux précédents.
La touche dada est carrément absente, et le spectacle est vite soporifique. Car tout est plaqué, placé, posé, de façon hyper-conventionnelle, comme si le public était venu écouter un récital des pensées de Pierre Dac ou de Desproges dites avec la fadeur de jeu de tel comédien contemporain de café-théâtre. Rien qui arrache, qui brûle ou qui choque : bref, le contraire de l’esprit de ces trois hommes. Il est fort à parier, qu’assistant à ce spectacle, le vrai Rigaud serait très tôt sorti de la salle, Vaché se serait levé en hurlant, et Cravan serait monté sur scène pour boxer les comédiens et les comédiennes.
Par-delà les marronniers
Texte et mise en scène Jean-Michel Ribes
Avec Maxime d’Abboville, Michel Fau, Hervé Lassïnce, Sophie Lenoir, Alexie Ribes, Stéphane Roger et Aurore Ugolin
Musique Reinhart Wagner
Scénographie Sophie Perez, avec la complicité de Xavier Boussiron
Costumes Juliette Chanaud
Lumières Laurent Béal
Chorégraphie Fabrice Ramalingom
Designer sonore Alain Richon
Assistanat à la mise en scène Virgine Ferrère, assistée de Capucine Crône-Crépel et Guillaume Alberny
Accessoires costumes Mélina Vaysset
Sculptures et peintures Dan Mestanza
Du 15 mars au 24 avril 2016
Théâtre du Rond Point
2bis, av Franklin Roosevelt
75008 Paris