« PERSONNAGES POUR VIOLON ET ORCHESTRE », Quelle attitude le citoyen peut-il adopter face à la puissance de l’arbitraire ? Se révolter ? Se soumettre ? Louvoyer ?

Iàkovos Kambanèllis tente de répondre à cette question dans sa pièce en quatre parties : Personnages pour violon et orchestre, aux éditions L’Espace d’un instant.

Quand on est Grec, né en 1920, qu’on a été déporté à Mauthausen et qu’on sort tout juste (en 1976) de ce qu’on a appelé « la dictature des colonels », on ne peut qu’être sensible à la question politique. Évoquer les années d’oppression, dénoncer la terreur, exprimer les espoirs et les chagrins du peuple. On le fait souvent avec des textes militants, théoriques, dans des essais par exemple.

Iàkovos Kambanèllis est avant tout un poète ; sa langue ne se contente pas de décrire ou d’expliquer ; sa sensibilité, son empathie, le poussent à créer des situations particulièrement éclairantes, ironiques parfois, émouvantes souvent, profondément humaines.
L’ouvrage se décompose en quatre parties qui sont des sortes de fables illustrant une situation particulièrement tendue :
L’homme fidèle, La femme et l’égaré, Panégyrique et L’homme encadré.

Dans la première partie, trois couples, une femme de ménage et un jeune homme de seize ans se trouvent réunis un soir d’élections. Les uns jouent aux cartes, les jeune homme se tait, l’un des hommes, Spyridon, est particulièrement inquiet. On comprend vite qu’il appartient à la caste des privilégiés qui ont soutenu la dictature et qu’il craint l’arrivée au pouvoir des tenants de la démocratie. Affolé, il ne supporte pas que les autres, y compris sa femme, jouent aux cartes alors que leur avenir à tous est gravement compromis – car, pour lui, il est impensable que le peuple qui a tant souffert ne se venge pas brutalement. Et la femme de ménage, totalement conditionnée abonde dans son sens. Alors que rien ne se passe d’autre que des défilés chantant la victoire, ils en viennent à entendre des fusillades et voir des exactions…

Dans La femme et l’égaré, qui est un véritable bijou, la maison d’une femme est investie par deux hommes : l’agent-chef et l’agent, qui sont à la recherche du fils, sans doute un activiste. Absolument savoureux, car c’est le langage qui mène la danse. La femme parle, propose du café, répond poliment – mais toujours un peu à côté – aux questions et menaces des agents et cette attitude tranquille énerve l’agent-chef au plus haut point : il est pressé, mais le fils est absent et il faut l’attendre… Je vous sers du café ? ils ne veulent pas du café, ils veulent son fils. Et à force de tension psychologique, l’agent-chef en vient à évoquer des horreurs perpétrées par lui et ses hommes, tout en prétendant qu’un Grec ne peut pas faire des choses pareilles à un autre Grec… savoureux et cruel ! Le retour du fils résoudra la tension, rendant leur pouvoir aux lâches.

Dans Panégyrique, un maire fait à des « huiles » du régime la description flatteuse de son action : il a résolu les problèmes, apporté la prospérité à ses concitoyens, servi honnêtement les intérêts de la junte. Mais au fond de la salle, il y a une citoyenne agitée. On ne sait pas ce qu’elle dit, mais son attitude pousse le maire à faire le récit de ses turpitudes et magouilles toutes justifiées par sa fidélité au pouvoir. Dans ce genre de régime, la corruption n’étant en aucun cas un crime, c’est évidemment l’honnête femme qui aura des ennuis pendant que ces messieurs trinquent et dégustent les petits-fours.

L’homme encadré évoque la veulerie de l’homme ordinaire tombé dans les rets d’un pouvoir inique. Tenant de la démocratie, mais piégé, il tente de satisfaire tout le monde. Tout se joue autour de la photo du dictateur, qu’il faut accrocher au mur du salon pour satisfaire le commandant, et décrocher du mur pour ne pas déchoir aux yeux de ses amis. Position intenable, vaudevillesque et tragique à le fois. « Mais moi, je suis qui ? je vais où ? je fais quoi ? »

Une œuvre tout à fait passionnante !

Informations pratiques

Auteur(s)
Iàkovos Kambanèllis

Prix
15 euros

Éditions L’Espace d’un instant
parlatges.org