« La petite soldate américaine » de Jean-Michel Rabeux, au théâtre de la Loge.

Un billet d’humeur de Irène Le Goué.
Mais où est passé notre esprit ?
La jolie petite salle du théâtre de la Loge, un soir d’hiver. Ça se serre sur les bancs, ça se réchauffe, ça cause. Face à nous, une comédienne, un comédien, tous deux vêtus d’un pantalon noir, d’une chemise blanche et d’une paire de bretelles, adossés au fond de scène, qui nous regardent. Ça rappelle Brecht.
Et puis ça commence. « Il était une fois une petite soldate américaine… »
© Ronan Thenadey
C’est un conte, inspiré d’une histoire terrible et vraie. Une histoire d’humiliation, de torture et de mort. Le conte est donné par un narrateur instrumentiste. La petite soldate, elle, ne parle jamais : elle chante, en anglais, en français, en kabyle. Elle chante et elle tue, en faisant le pistolet avec ses doigts.
Le regard vide. Et plusieurs fois, le narrateur se demande où est passé son esprit.
La scénographie est simple : un micro, une chaise et deux longs fils de fer entortillés, une grille lumineuse, un parpaing. Et deux instruments : un mélodica et une clarinette.
C’est un conte contemporain. Eram Sobhani nous en offre l’écriture, simple mais très puissante, violente et poétique de Jean-Michel Rabeux, avec beaucoup de sérieux – voire une certaine gravité. Le corps d’Ava Hervier, soldate-chanteuse, marionnette du narrateur, prend en charge les images. Son regard est ailleurs, très loin derrière les spectateurs ou peut-être en elle. On cherche un souffle de vie dans le personnage, une once d’humanité, rien. Seulement sa belle voix et peu d’émotion dans ses actes barbares, même à l’heure où les victimes se vengeront.
C’est un conte politique, musical, qui danse un peu, à peine. Légèrement. On trouve un peu de légèreté et de délicatesse dans cette fable horrible sur un crime de guerre. Et après avoir applaudi, parce que c’est ce qu’on fait au théâtre à la fin, on reste là un peu, assis, on oublie de se lever.
Pensif parce que dans pas mal de pays aujourd’hui, c’est la guerre et c’est sûrement comme ça, encore.
Pensif parce qu’ici et maintenant, en France, encore, quatre « petits soldats français » sont accusés d’avoir torturé à Aulnay-sous-Bois. Pour rien. Comme ça. Par sadisme.
D’où vient le plaisir de voir souffrir ?
Quand nous regarderons-nous réciproquement comme des humains ?
Où est passé notre esprit ? Mais qu’est-ce qui nous prend ?!
On sort de la Loge, dans la nuit, sombre et pensif, un goût de métal dans la bouche.
Bravo, monsieur Rabeux.

La petite soldate américaine
Texte et mise en scène : Jean-Michel Rabeux
Assistanat à la mise en scène : Vincent Brunol
Avec Ava Hervier et Eram Sobhani
Musique : Guillaume Bosson
Régie générale : Denis Arlot
Production : La Compagnie
Durée : 45 minutes.
Du 7 au 10 février à 19h
Théâtre La Loge
77 rue de Charonne 75011 Paris