Un article de Pierre-Alexandre Culo
Aux Origines de Salope.
Que Phèdre soit une salope, ou ne le soit pas, à ce nom fatal Matthias Claeys et la cie MKCD assimile une recherche exaltante sur les représentations sociétales et théâtrales du Genre. Après la douce intimité d’Awake, Phèdre/Salope ne joue pas les farouches et attaque de plein fouet les fondations d’une société patriarcale et phallocratique. Légère mais acérée, l’écriture féministe de Matthias Claeys s’empare avec force d’un sujet brûlant, confirmant un regard vif et délicat sur le monde qui l’entoure.
Des menstruations se déversant le long de ses cuisses naît la tragédie, ou ne naît peut-être pas. De son coussin tâché, la femme nous promet un quart de Phèdre, trois quarts de Salope, c’est ainsi que débute la tragédie de son sexe. Le texte de Racine défile dans une adaptation accélérée où subsiste une sensation primitive et onirique. Salope aux origines. L’alexandrin s’empresse, se décuple en plusieurs voix, plusieurs visages, plusieurs corps, plusieurs sexes. L’alexandrin exalte et explose sous les coups d’expressions et insubordinations contemporaines. Malgré une maîtrise quelque peu fragile de la langue racinienne, les comédiens créent autour d’eux un vivier sensitif, une Origine du monde duquel pourra s’extraire Salope.
Cette engeance scénique de Phèdre nous fait tourner la tête, de ça, il est en certain. D’une esthétique scénique frontalement opposée, cette deuxième partie papillonne avec fougue du drame juridique au burlesque familial. Dans le sein accueillant des pièces de la maison, ou dans les cours de justice, le sexisme ordinaire, inconscient, ou encore les violences physiques et psychologiques s’expriment sans limite. Née d’un travail d’improvisation au plateau et de réécriture, la langue de Salope trouve une identité engagée, sincère, cynique et grinçante qui, en se jouant des stéréotypes, ébranle nos certitudes et stimule avec plus ou moins de virulence notre regard.
Matricide ou non, chacun y verra ce que bon lui semble, Salope semble avoir tué Phèdre. A force d’ouverture, il est dommage que le texte classique ne résonne pas davantage. Comme refoulé, au plus profond d’un imaginaire collectif, il aurait été étonnant de revoir surgir cette matrice mythique dans les rouages tragiques de notre contemporanéité.
Phèdre/Salope est, de ça, il est certain, un spectacle engagé et soutenu par une équipe pleinement investie. Matthias Claeys réussit le défi de créer un espace ouvert et non-didactique, à la poésie politique douce.
Phèdre/Salope
Conception et mise en scène Matthias Claeys
Cie MKCD
Texte Phèdre de Jean Racine & Salope de Matthias Claeys
Avec Odila Caminos, Marie Camlong, Marie-Julie Chalu, Kévin Dez, Romain Pichard, Françoise Roche et Marion Romagnan
Dramaturgie / Collaboration Artistique Anne Brosselard
Création lumière Vera Martins
Création sonore Victor Bendinelli
Du 14 au 17 mars 2017
Théâtre de la Loge
77 rue de Charonne
75011 Paris