[Plateaux Marionnettes] Journées professionnelles à la rencontre des artistes émergents, maintenant étendues au nord de Paris

[Plateaux Marionnettes] Engrenages , mise en scène Maxime Gridelet © DR

Décidément, le monde de la marionnette ne fait que grandir ces derniers temps : la promotion du théâtre du Mouffetard au rang de Centre National suite à son partenariat avec le Théâtre aux Mains Nues, ou de la nomination de Brice Berthoud et Camille Trouvé à la direction du CDN de Normandie-Rouen, l’ouverture d’une centaine de salles en Europe suite à l’action d’Ineupop… Bref, quelle époque nous vivons. Mais c’est au Théâtre de la Halle Roublot, dirigé par Cécile Givernet et Vincent Munsch de la Compagnie Espace Blanc, qu’est née une nouvelle idée pour renforcer cette dynamique : l’organisation de journées annuelles, tenues en hiver, faisant se rencontrer programmateurs et compagnies émergentes, avec pour but de présenter des spectacles en quête de lieux pour se jouer, ou même se construire. Cette année est la 4ème édition des Plateaux Marionnettes. Depuis la deuxième édition en 2021, ils se sont élargis à la Nef de Pantin, qui chantera l’automne, tandis que le Théâtre aux Mains Nues fête le printemps.

Ce sont cinq compagnies qui se partagent, pendant deux jours, l’après-midi des rencontres les 15 et 16 mai au TMN, dirigé par Pierre Blaise. Fidèles à l’identité de celui-ci, elles présentent des formes variées, qui étendent le champ des possibles de la marionnette. Une fois arrivé sur place, un petit temps d’accueil soutenu par une profusion de boissons chaudes permet de s’imprégner de l’atmosphère du lieu et de sa disposition curieuse, fruit d’une expansion progressive. On peut également admirer l’exposition/installation Le Masque et la matière réalisée par La Petite Fabrique à partir des masques d’Alaric Chagnard, présente jusqu’au 23 juin.

Le Masque et la matière expo TMN

[Plateaux Marionnettes] Le Masque et la matière par La Petite Fabrique © DR

Passé ce petit temps, c’est dans la partie école qu’on peut assister à la présentation du Roi Mouton de la Cie Les Petites Don Quichotte. Conte musical, on y voit un mouton couronné par un coup de vent, et tout le système symbolique habituel des fables animalières s’en trouve bouleversé. Si les marionnettes ne sont pas toutes achevées, Wilfried Bosch se propose de montrer celles qu’ils ont déjà, et laisse la parole à deux loups anthropomorphes qui ne s’en privent pas, et chantent presque autant qu’ils conspirent. Giada Melley, artiste compagnonne au TMN depuis 2022, fait de même avec le personnage de la première Dame-mouton, quadrupède de son état. Le texte est reçu avec des sourires complices, et les marionnettes, construites en laine par Illaria Comisso, séduisent par l’univers d’intrigues qu’elles évoquent. Les artistes en profitent pour présenter la place qu’ils comptent laisser au dessin et aux lanternes magiques dans le déroulé de la fable.

Roi Mouton

[Plateaux Marionnettes] Le Roi Mouton , mise en scène Giada Melley & Wilfried Bosch © DR

Après ce premier exposé d’une demi-heure, direction la deuxième salle où Audrey Jean et Yvon présentent un projet radical : L’Aventure mégascope. Inspiré des camera obscura et de plusieurs inventions photographiques du XIXème siècle, le projet est avant tout un dispositif de vidéoprojection primitive, où les comédiens manipulent en direct des objets qui donnent l’impression d’une image holographique, ou d’un gros plan de film des années 20. Ce « mégascope à haute luminosité » est une invention d’Yvon, qui travaille depuis plusieurs années sur l’image projetée et le rapport aux écrans ; un intérêt qui a trouvé son écho chez Audrey Jean, metteuse en scène dont la recherche esthétique s’axe notamment sur l’altération du développement photographique. Une démonstration, donnée à la fin de l’explication, permet au public de constater l’aspect proprement magique de cet effet d’illusion. Des interrogations émergent néanmoins sur la praticité de l’appareil, qui est en effet très grand et demande de passer la tête dans une ouverture de la boîte. On peut imaginer que l’idée d’une queue de spectateurs attendant leur tour pour voir un spectacle soit incompatible avec un spectacle à grande échelle. Heureusement, les deux artistes ont aussi développé une version scénique où le public fait face à la projection. Mais une autre question surgit naturellement, à savoir l’histoire à raconter dans ce cadre technique, et c’est justement à cette étape – celle de l’écriture – que le duo travaille, au fil de résidences, depuis décembre 2022. Il est encore tôt pour évaluer l’importance de cette invention dans le monde du théâtre, mais à un stade de son histoire où la vidéo prend de plus en plus de place, des alternatives plus vivantes sont à encourager.

Aventure mégascope
MEGASCOPE-MAIN

[Plateaux Marionnettes] L’Aventure mégascope , mise en scène Yvon & Audrey Jean © DR

Une collation est ensuite proposée pour se laisser le temps de souffler. Une pâtisserie et un thé glacé plus tard, c’est reparti avec Insomniaques, de la Cie Avant l’Averse. Lou Simon, formée au TMN puis à l’ESNAM (promotion 2017), prend à cœur de présenter leur projet par l’histoire qui l’a fait naître. Accompagnée de Romain le Gall Brachet, ils racontent comment une simple photo a fait perdre le sommeil au grand-père de la metteuse en scène, ainsi qu’aux amis à qui il l’a partagée. C’est que cette photo montre un spectacle perturbant : celui de plusieurs hommes noirs emmenés dans une charrette dans la ville de Rouen, pendant la Seconde Guerre mondiale. Des recherches ultérieures confirmeront qu’il s’agit d’un événement effacé de l’histoire, dont cette photo constitue une des seules traces, à savoir l’exécution, en juin 1940, de tirailleurs sénégalais par les soldats allemands. Comme une pensée intrusive, cette photo réveille à ce que l’on cherche à oublier. La compagnie se propose donc de raconter cette enquête, très récente, qui a conduit à la création d’un jour de commémoration pour ces victimes du racisme – non seulement des nazis, mais aussi de la société qui y a consenti – en interrogeant notre rapport à la mémoire ; ce dont on se souvient, et ce qu’on n’arrive pas à oublier. Interrogée sur la forme du spectacle, la marionnettiste répond : « Je pars toujours du sujet, plutôt que de la forme. J’utiliserai donc celles qui auront du sens dans le propos », avançant toutefois l’envie de travailler sur une manipulation scénographique, à la limite du rôle de régisseur.

Insomniaques

[Plateaux Marionnettes] Insomniaques, mise en scène Lou Simon © DR

La journée avançant elle aussi, le groupe est à nouveau acheminé vers la salle de cours, où attendent cette fois les membres de la Cie Théâtre du Tricorne. Adrien Bernard-Brunel fait renaître sa compagnie pour un cabaret sur un texte de Jean-Pierre Siméon, « La Lune des Pauvres ». En collaboration avec Pierre-Emile Soulié, technicien éclairagiste avec qui il avait travaillé dix ans auparavant sur des textes de Jehan-Rictus, le musicien propose un projet alliant le travail de la langue et de la parole chantée à celui de la marionnette, plus spécifiquement des figures en carton et des ombres portées. Si le motif de l’histoire commence à dater – deux hommes en galère rencontrent une belle étrangère avec qui ils entreprennent un voyage, au bout duquel c’est évidemment elle qui meurt – la démarche de mettre en scène les marginaux par le corps inanimé de la marionnette est toujours stimulante pour l’imaginaire. L’utilisation du transformisme pour la représenter rend également le motif plus supportable, et permet d’axer la manipulation sur le genre et les fantasmes qui y sont liés. Silhouettes grotesques, ombres évanescentes, Vrogne et Pinaille sont un duo assez similaire à celui formé par Vladimir et Estragon, et leurs paroles résonnent comme celles de deux fantômes qui hantent l’imaginaire théâtral : l’auguste et le pierrot, lancés sur les routes. Suite à une interrogation sur le décor, le duo confirme leur idée d’une scénographie dépouillée, seulement produite par les lumières que manipule Pierre-Emile Soulié. Un théâtre pauvre qui les place dans la filiation de Jean-Pierre Siméon, et de tant d’autres.

La lune des pauvres

[Plateaux Marionnettes] La Lune des Pauvres, mise en scène Adrien Bernard-Brunel © DR

Suite à ces deux moments d’échange, la journée s’achève par la représentation d’une pièce rajoutée après le premier programme : Engrenages de Maxime Gridelet, avec la Cie C’est Pas Grave, On Continue. Élaborée lors d’une formation-résidence avec le théâtre de cuisine, la pièce est un seul-en-scène de théâtre d’objet où une famille d’entrepreneurs, bien décidés à ne pas apprendre de leurs erreurs, voit sans cesse le père succomber à ses propres investissements, et le fils de répéter le mantra : « Mais il faut pas désespérer ». Le comédien a fait le pari de présenter son projet en jouant, tout simplement, les 25 minutes déjà écrites, avec un succès visible. La répétition, qui pourrait devenir redondante, garde une énergie folle par l’audace du rapport à l’objet, par un humour acéré et par l’inventivité dont il fait preuve par la simple manipulation de rouleaux de tickets de caisse, qui déroulent une suite de tableaux variés où demeure une constante : la note de fin. Fort de cette première base, Maxime Gridelet cherche à présent des lieux de résidence et de financement pour l’écriture d’une seconde partie, qui romprait avec la première tout en développant le thème : la nature cyclique du capitalisme, de l’expansion à la fatalité de la dépression.

Informations pratiques

Plateaux Marionnettes
Journées professionnelles de la création émergente en Ile-de-France

LE ROI MOUTON – Les Petites Don Quichotte Création septembre 2023
MUSIQUE, MARIONNETTES PORTÉES, IMAGE PROJETÉE, MUPPETS ET DEMI-MASQUES
Écriture Wilfried Bosch
Mise en scène et interprétation Giada Melley & Wilfried Bosch
Composition musicale Gustavo Beytelmann
Musicien Sébastien Innocenti
Scénographie et Marionnettes Ilaria Comisso
Collaboration artistique et à la production Louise Machon et Maïlys Habonneaud
Maquette de 30 mn

Lundi 15 et mardi 16 mai à 14h30

L’AVENTURE EN MÉGASCOPE – Yvon & Audrey Jean Création octobre 2023
PROJECTIONS EN DIRECT
Mise en scène, écriture, manipulation et interprétation Yvon & Audrey Jean
Maquette de 30 mn

Lundi 15 et mardi 16 mai à 15h

INSOMNIAQUES – Cie Avant l’averse Création automne 2023
THÉÂTRE D’OBJETS ET DE MATIÈRE
Mise en scène Lou Simon
Écriture et dramaturgie Lisiane Durand et Lou Simon
Interprétation Arnold Mensah & Clémentine Pasgrimaud
Scénographie Cerise Guyon
Concepteur lumière Romain Le Gall Brachet
Maquette de 30 mn

Lundi 15 et mardi 16 mai à 16h

LA LUNE DES PAUVRES – Cie Théâtre du Tricorne Création mai 2024
CABARET DE POCHE ET MAROTTES
Mise en scène, musique et interprète Adrien Bernard-Brunel
Collaboration artistique, interprète et lumières Pierre-Émile Soulié
Arrangements musicaux Anton Quénet-Renaud
Régie son Florent Laugeois / Hugo Chevrier (en alternance et collaboration)
Maquette de 30 mn

Lundi 15 et mardi 16 mai à 16h30

ENGRENAGES – Cie C’est pas grave, on continue Création octobre 2022
THÉÂTRE D’OBJETS
Mise en scène et interprétation Maxime Gridelet
Durée 25 mn

Lundi 15 et mardi 16 mai à 17h

LE MASQUE ET LA MATIÈRE – La Petite Fabrique Création 2023
EXPOSITION MASQUES, SCULPTURES ET INSTALATION VIDÉO
Masques Alaric Chagnard

Du 5 mai au 23 juin au Théâtre aux Mains Nues
du lundi au vendredi, de 10h à 17h et sur RDV
Nocturne le 14 juin entre 18h et 20h au TMN.

Adresse
Théâtre aux Mains Nues
43, rue du Clos
75020 Paris

Informations complémentaires

Théâtre aux Mains Nues
www.theatre-aux-mains-nues.fr

Le Roi Mouton – Cie Les Petites Don Quichotte
www.lespetitesdonquichotte.com

L’Aventure mégascope – Yvon et Audrey Jean
y-v-o-n.fr

 Insomniaques – Cie Avant l’Averse
www.avantlaverse.com

La Lune des Pauvres – Cie Théâtre du Tricorne Facebook
www.facebook.com/theatredutricorne

Le Masque et la matière – Alaric Chagnard Facebook
alaric.chagnard