« PORTRAIT DE RAOUL » de Philippe Minyana, Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte ?

PORTRAIT DE RAOUL de Philippe Minyana aux éditions Solitaires Intempestifs : une pièce – monologue, créée le 15 octobre 2018 à la Comédie de Caen, mise en scène par Martial Di Fonzo Bo. Adaptée pour France Culture le 11 décembre 2022. (Ré-écoutable sur le site)

Salvadorien élevé par sa mère, une couturière émérite, (qui copie Monsieur Dior !) Raoul est venu à Paris pour étudier et a appris par cœur tout Molière. D’emblée, on se situe dans la fiction et pourtant, tout, dans ce texte, est vraisemblable, sans doute à cause du ton de confidence sincère qui est le sien.

Raoul fait des rencontres extraordinaires et nous les raconte sur un ton léger, presque détaché. Copi – de son vrai nom Raùl Damonte Botana – l’embauche comme habilleuse. J’ai téléphoné à ma Mama au Salvador et je lui ai dit « Je fais l’habilleuse pour un génie » Elle a pleuré.

Les bonnes nouvelles font pleurer Mama. Les tragédies aussi. Les frères morts ont fait de Raoul une fille, Raoul faisait la fille de la maison, mon âme était femme.
Le père de Raoul est devenu fou de chagrin à la mort de son deuxième fils et Raoul qui a quitté le Salvador pour la France, étudie l’histoire du costume et rencontre Copi mais aussi Noureev, un autre génie : Mama, je suis couturière à l’Opéra. Elle a encore pleuré.

Minyana tresse ensemble la vie parisienne et la jeunesse salvadorienne de Raoul dans un langage direct, naïf, qui contribue à rendre toutes ces aventures vraisemblables : Ma Mama et moi, on était tellement gourmandes ! mais la vie, la vraie, est à Paris. Rencontrer des génies, est tout naturel : Copi, Noureev, et ensuite, Nordey. Les génies se bousculent dans la vie de Raoul ! Habilleuse, couturière, puis comédienne. Je suis amoureux de la belle langue, celle de Molière… tellement que s’éloigne la langue maternelle et que l’identité se brouille : né garçon, devenu fille puis femme avec des nichons, puis homme de nouveau… tout cela semble secondaire ; ce qui compte, c’est le théâtre et son sommet, la Comédie Française.

Raoul n’a rien d’autre à nous dire que cela : le théâtre, c’est le bonheur parfait. Cet artifice total est plus vrai que le réel, un bonheur presque insupportable, un miracle. Et ce miracle ne touche pas seulement l’acteur habité par les mots et emporté par l’émotion, il touche aussi les spectateurs médusés qui se pressent en plein cagnard pour assister à cela : le miracle du théâtre.

Je crois que le bonheur c’est l’instant où son rêve et sa réalité vont la main dans la main. Chanceux Raoul qui sait accueillir toutes ses identités et s’engager dans tous les chemins que l’art lui propose.

La porte entrouverte évoquée en sous-titre, est peut-être celle devant laquelle les humains sont placés et que la plupart d’entre eux, s’empressent de fermer effrayé qu’ils sont par la profusion des possibles.

Cet hymne au théâtre, incarné par un être à la fois hybride et déterminé est un petit bijou ciselé par Minyana dans le langage de la plénitude mélancolique.

Informations pratiques

Auteur(s)
Philippe Minyana

Prix
14 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com