[Printemps des Comédiens] « DER WIJ (LE VIJ) », la folie de la guerre russo-ukrainienne mise à nue par le metteur en scène russe dissident Kirill Serebrennikov et la troupe du Thalia Theater de Hambourg

Der Wij (Le Vij), mise en scène Kirill Serebrennikov © Fabian Hammerl

Depuis 1987, le Printemps des Comédiens de Montpellier lance la saison des festivals de l’été avec une programmation riche et de grande qualité. Le Domaine d’O, vaste parc arboré entourant une demeure du XVIIIème siècle, accueille de nombreux spectacles dans des espaces prévus à cet effet en son sein, tels qu’un amphithéâtre de plein air ou encore le théâtre Jean-Claude Carrière, où avait lieu Der Wij (Le Vij).

« Vij est une création colossale de l’imagination populaire. On appelle ainsi chez les Petits-Russiens le chef des gnomes, dont les paupières pendent jusqu’à terre. Toute cette nouvelle est une tradition populaire. Je n’ai rien voulu y changer et je la rapporte presque dans la simplicité même où je l’ai entendue raconter. » Voilà ce qu’écrit le célèbre romancier, nouvelliste, dramaturge, poète et critique littéraire russe Nikolai Gogol (1809-1852) à propos de sa nouvelle Le Vij. Il faut savoir que cet auteur majeur de la littérature russe est en fait né sur le territoire de l’actuelle Ukraine et s’est beaucoup inspiré de l’histoire et du folklore de ce pays dans ses œuvres.

Un conflit d’héritage entre culture ukrainienne et culture russe est ainsi posé dès le départ et il est frappant de constater que Bohdan Pankrukhin et Kirill Serebrennikov se sont inspirés de cette histoire de Nikolai Gogol pour créer ce spectacle. Mais ne nous y trompons pas, la figure majeure de la pièce qui nous est présentée est bel et bien la guerre qui fait maintenant rage depuis près d’un an et demi (sans compter l’annexion de la Crimée en 2014) entre la Russie et l’Ukraine. Comme l’écrit le metteur en scène : « Dans cette production, le Vij est la guerre – un monstre sans âme aux yeux fermés qui vole l’identité et l’avenir des gens. Dans le monde catastrophique qu’il inaugure, les êtres humains s’entretuent et se tuent eux-mêmes : « Il suffit de fermer les yeux et de tirer ».

Cette tension est palpable dès les premières minutes de la pièce, puisqu’un petit groupe d’Ukrainiens vient de faire prisonnier un soldat russe, l’emmène dans une cave et cherche le meilleur moyen de l’exécuter. Mais le doyen de la famille à qui semble appartenir la maison préfère opposer la parole, le langage et le récit à la mort froide. Espace étroit dans lequel va s’engouffrer tout le spectacle et permettre à nos protagonistes de « sauter hors du rang des assassins » comme l’aurait écrit Kafka. Un espace poétique et onirique se dessine alors dans cette cave froide, alternant entre moments de grâce convoquant Shakespeare ou encore Gogol, et rappels à la froide et implacable réalité de la guerre. Car c’est aussi un travail documenté auquel nous assistons : « J’ai commencé à travailler sur ce projet au printemps 2022 avec le jeune dramaturge ukrainien Bohdan Pankrukhin. Nous avons lu des centaines de rapports et regardé des documentaires et des vidéos sur la guerre. Bucha, Marioupol, Irpin… L’enfer sur terre. » (Kirill Serebrennikov)

Le metteur en scène russe, désormais exilé en Allemagne suite à ses prises de positions hostiles au régime de Vladimir Poutine, livre un travail puissant sur un sujet d’une brûlante actualité. Entouré d’interprètes de grand talent, faisant preuve d’un engagement physique impressionnant, il nous présente une œuvre sans concessions sur la brutalité d’une guerre qui broie les hommes et trouble tous les repères moraux. Les langues se mêlent dans cette production (allemand, russe et ukrainien) où il faut particulièrement noter le travail réalisé par Sergej Kuchar sur les lumières, dans ce huis-clos crépusculaire où les lumières de l’art et de la littérature tentent désespérément d’éclairer une sombre réalité.

Der Wij 1 © Fabian Hammerl
Der Wij 6 © Fabian Hammerl
Der Wij 5 © Fabian Hammerl
Der Wij 4 © Fabian Hammerl

Der Wij (Le Vij), mise en scène Kirill Serebrennikov © Fabian Hammerl

Informations pratiques

DER WIJ (LE VIJ)
Printemps des Comédiens à Montpellier du 1er au 21 juin 2023

Auteur
Bohdan Pankrukhin et Kirill Serebrennikov
traduit par Kyra Heye et inspiré d’une histoire de Nikolai Gogol

Mise en scène
Kirill Serebrennikov
Assistanat à la mise en scène Elena Bulochnikova

Avec
Filipp Avdeev, Bernd Grawert, Johannes Hegemann, Pascal Houdus, Falk Rockstroh, Viktoria Miroshnichenko, Rosa Thormeyer et Oleksandr Yatsenko

Réalisateur, scène et costume Kirill Serebrennikov
Costumes Shalva Nikvashvili
Musique Daniel Freitag
Chorégraphie Ivan Estegneev et Evgeny Kulagin
Lumière Sergej Kuchar
Dramaturgie Matthias Günther
Traduction Kyra Heye
Collaboratrice artistique Anna Shalashova
Production Thalia Theater, à Hambourg
Avec le soutien de la Fondation Körber-Stiftung, la fondation ZEIT-Stiftung, la Fondation Rudolf Augstein Stiftung, la Fondation culturelle de Hambourg et la Fondation Mara et Holger Cassens

Durée
2h

Dates
Les 16 et 17 juin 2023 au Domaine d’O – Théâtre Jean-Claude Carrière à Montpellier,
dans le cadre du Printemps des Comédiens

Adresse
Printemps des Comédiens
178, rue Carriérasse
34080 Montpellier

Informations complémentaires
Printemps des Comédiens
printempsdescomediens.com

Domaine d’O – Théâtre Jean-Claude Carrière
www.domainedo.fr